Simon Radowitzky : Différence entre versions

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<blockquote>''Quand la famille de F. Merdjanov est-elle arrivée à Nice ? Nous n’en savons strictement rien.''<ref name="#FM">"Vie et œuvre de F. Merdjanov" dans F. Merdjanov, ''Analectes de rien'', 2017 - [http://analectes2rien.legtux.org/index.php/vie-t-oeuvre-de-f-merdjanov En ligne]</ref></blockquote>
 
<blockquote>''Quand la famille de F. Merdjanov est-elle arrivée à Nice ? Nous n’en savons strictement rien.''<ref name="#FM">"Vie et œuvre de F. Merdjanov" dans F. Merdjanov, ''Analectes de rien'', 2017 - [http://analectes2rien.legtux.org/index.php/vie-t-oeuvre-de-f-merdjanov En ligne]</ref></blockquote>
  
Il n'est donc pas exclu que cette famille merdjanovienne ait pu elle-aussi participer à ce réseau. Et plus largement la communauté des révolutionnaires exilés macédoniens de Nice. Ce qui expliquerait, bien au delà d'une détestation policière commune et des vomissements que le mot prison provoque, la raison d'une article sur Simon Radowitzky dans une encyclopédie consacrée à [[F. Merdjanov]]. Seule la protivophile est en mesure de tisser des liens encore plus ténus que cette nécrophilie partagée entre Simon Radowitzky et [[F. Merdjanov]], basés sur rien, pour y voir un intérêt commun pour les adages sumériens :
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Il n'est donc pas exclu que cette famille merdjanovienne ait pu elle-aussi participer à ce réseau. Et plus largement la communauté des révolutionnaires exilés macédoniens de Nice. Ce qui expliquerait, bien au delà d'une détestation policière commune et des vomissements que le mot prison provoque, la raison d'une article sur Simon Radowitzky dans une encyclopédie consacrée à [[F. Merdjanov]]. Seule la protivophile est en mesure de tisser des liens encore plus ténus que cette nécrophilie partagée entre Simon Radowitzky et [[F. Merdjanov]], basés sur rien, pour y voir un intérêt commun évident pour les adages sumériens :
  
 
<blockquote>''Naître esclave de tout. N’être esclave de rien''<ref>"''Inscription antique retrouvée lors de fouilles archéologiques très récentes sur un site sumérien''". D'après "Vie et œuvre de F. Merdjanov"</ref></blockquote>
 
<blockquote>''Naître esclave de tout. N’être esclave de rien''<ref>"''Inscription antique retrouvée lors de fouilles archéologiques très récentes sur un site sumérien''". D'après "Vie et œuvre de F. Merdjanov"</ref></blockquote>

Version du 12 janvier 2019 à 23:01

Simon Radowitzky. Anarchiste par choix, moïsien[1] par héritage, russe de nationalité et argentin d'exil.


Confins rus'

La région d'Europe orientale, comprise entre la mer Noire et la Baltique, est de part sa géographie un lieu de passage depuis des siècles pour les hordes d'hominines venues de l'Est, du Sud ou du Nord. Des mongols, des tatars, des scandinaves, des caucasiens ou des slaves y sont passés pour répandre le sang ou s'installer durablement. De cette macédoine génétique émergent progressivement à partir du VIIème siècle après JC[2] des États féodaux. Que ce soit le royaume des tribus scandinaves, qui adoptent les croyances des christiens, ou l'empire des semi-nomades kazhars[3], qui eux préfèrent celles des moïsiens, ces entités étatiques se structurent pour former de vastes empires régionaux. Ils s'étendent par la guerre ou en faisant des alliances avec les tribus d'hominines qui peuplent la région. Si les kazhars ont laissé peu de traces, des États rus' voient le jour à partir du IXème siècle. La principauté de Kiev éclate au XIVème siècle lors des invasions mongoles. La principauté de Moscou est la grande bénéficiaire de cet éclatement car elle restructure autour d'elle les quelques royaumes rus' qu'elle incorpore petit à petit en son sein. A sa frontière orientale les khanats mongols et à l'ouest les royaumes de Lituanie et de Pologne. La principauté est soumise à l'autorité des mongols desquels elle s'affranchit progressivement tout au long du XVème siècle et grignote des territoires à l'alliance lituano-polonaise. Son pouvoir grandissant, la principauté devient un vaste empire et son dirigeant se proclame "Grand-Prince de toutes les Russies" et son successeur "Tsar de toutes les Russies" en 1547. Monarchie absolue, le tsarat agglomère une multitude d'anciennes principautés dans un empire de plus en plus centralisé.

Expansion de la Moscovie
Dans la partie la plus occidentale de l'ancienne principauté de Kiev, demeurée sous autorité polonaise, des paysans russophones parviennent à négocier un statut de libre-organisation contre l'obligation de défendre les armes à la main les frontières. Ils repoussent les avancées des tatars puis des ottomans. Tout au long des XVIème et XVIIème siècles, ces cosaques zaporogues[4] se soulèvent contre les polonais et résistent à leur annexion par l'empire tsariste. Installés jusqu'au Dniestr, ils sont de fait dans les marges de l'empire et constituent une sorte d'entité para-étatique servant de garde-frontières qui perdurera jusqu'au XVIIIème siècle. Elle est alors intégrée au tsarat de Moscou. D'origine slave, le terme yкраїна[5] (prononcer oukraïna) signifiant "à la marche" est utilisé pour désigner ces régions qui séparent la Russie de ses ennemis occidentaux, le royaume de Pologne et le grand-duché de Lituanie réunis au sein de la République des Deux Nations.

L'alliance lituano-polonaise est mise à mal vers la fin du XVIIIème siècle et son territoire est divisé entre la Prusse, l'Autriche-Hongrie et la Russie. Les populations d'hominines qui vivent dans ces régions sont très diverses par leurs pratiques linguistiques, leurs croyances religieuses ou leurs conditions de vie. Les territoires récupérés par la Russie tsariste abritent plusieurs millions d'hominines moïsiens qui bénéficiaient d'une relative autonomie depuis des siècles dans la République des Deux Nations, constituant ce que l'on appelle de nos jours le Yiddishland. Ce terme désigne généralement un vaste ensemble territorial - non continu - de la mer Noire à la Baltique sur lequel s'est développé des formes sécularisées des croyances et pratiques religieuses traditionnelles des moïsiens dont la langue partagée, le yiddish[6], est à base germanophone avec de nombreux emprunts et un alphabet hébraïque. Ainsi dans ce contexte moïsien ne définit plus celleux qui se réclament du mythique Moïse, mais celleux qui naissent dans ce contexte culturel et social spécifique. De très nombreux écrits littéraires, du théâtre ou de la poésie, des textes politiques et des essais sont publiés en yiddish. La plupart n'ont pas de caractère religieux et touchent à tous les domaines et questionnements de cette époque. Certains prônent même l'athéisme. L'hébreu est une langue essentiellement liturgique.

La tsarine instaure une "Zone de résidence" dans ses nouveaux territoires où les moïsiens sont contraints de vivre, sans droit d'en sortir[7]. Après avoir tenté de convertir "ses" propres moïsiens, elle décide de déplacer dans cette zone ceux qui vivent à travers l'empire. Certaines villes comme Kiev, Sebastopol ou Yalta sont interdites à l'installation de moïsiens, sauf autorisations spéciales, alors que d'autres (Odessa, Chisinau) leur sont permises. Ce statut spécial oblige aussi les moïsiens à ne pas s'installer dans des zones rurales ou à les quitter. Avec des frontières fluctuantes au fil des décisions des autorités russes, cette zone inclue les actuelles Lituanie méridionale, Biélorussie, Pologne, Moldavie, Ukraine et l'ouest de la Russie. Les restrictions d'installation poussent de nombreuses familles de moïsiens vers les villes et renforcent les shtetl (du yiddish שטאָט (shtot) "ville") existants, ces villages, petites villes ou quartiers exclusivement peuplés de moïsiens. La coexistence n'est pas toujours simple et, imprégnés d'un anti-judaïsme christien[8], des groupes d'hominines attaquent des shtetl et se livrent à des massacres sur les moïsiens à qui il est reproché de tuer rituellement des enfants, de fomenter des assassinats, d'apporter la misère et de répandre la maladie, bref d'être responsables de tous les malheurs du monde. Même si ce phénomène de pillages et de tueries contre des communautés de moïsiens n'est pas le propre de l'Europe orientale, le terme погром (pogrom) qui signifie "massacre, pillage" en russe est entré dans la langue courante pour nommer ces attaques sanglantes. Les pogroms ne sont pas exclusivement tournés contre les moïsiens mais il n'en reste pas moins qu'ils furent les cibles favorites de ces révoltes populaires.

Quelles que soient les mauvaises nouvelles, vous devez continuer de vivre, même si cela vous tue[9]

Au cours du XIXème siècle, la plupart des empires ou nations d'Europe sont secouées par l'émergence des nationalismes. A travers tout le continent, des élites intellectuelles, économiques et politiques s'emparent de thèmes tels que la langue, les frontières, la nation, l'ethnie ou la race, l'histoire, le folklore pour construire un argumentaire justifiant des redécoupages de frontières et la création de nouveaux États-nations. Ces nationalismes inventent des identités collectives qui, même si elles sont des illusions, mobilisent des groupes d'hominines prêts à en découdre pour cette nouvelle cause. Chaque nouveau projet d’État-nation puise dans le passé pour se créer une légitimité et une profondeur historique, une artificielle langue nationale est décrétée langue commune, une fallacieuse "communauté de destin" est prétendue et une origine commune est imaginée... Les marches de l'empire russe n'échappent pas à ce phénomène. Une partie de l'intelligentsia citadine se passionne pour le monde paysan[10] dont elle fait un modèle pour la construction d'un nationalisme ukrainien. Les pratiques linguistiques sont répertoriées puis uniformisées dans une langue ukrainienne commune[11] présentée comme différente du russe, le monde paysan est fait archétype pour être l'essence de la future nation, les cosaques sont fantasmés et la principauté de Kiev devient l'argument d'une légitimité historique pour les prétendants à l'indépendance. Un important travail littéraire, poétique ou ethnographique a largement contribué à l'écriture de cette mythologie nationale. Un processus similaire se passe plus au nord pour constituer le nationalisme biélorusse. Les autorités tsaristes répriment durement toutes velléités nationalistes et interdisent les mouvements et les écrits exaltant les aspirations à un État-nation ukrainien indépendant[12]. Dans ce contexte, les pogroms anti-moïsiens s'intensifient entre 1881 et 1884 au sud de la Zone - dans l'actuelle Ukraine - lors desquels des villages sont détruits et des milliers de personnes assassinées. La ségrégation, les violences et la misère pousseront plus d'un million et demi de moïsiens de la Zone à chercher refuge aux États-Unis d'Amérique et, dans une moindre mesure, en Argentine pendant les décennies suivantes.

En parallèle de ces revendications nationalistes, l'empire tsariste doit faire face à de très fortes contestations sociales et politiques. L'absolutisme du tsar, le servage et la misère paysanne ou les conditions de travail dans le monde ouvrier urbain sont autant de point d'accroche pour, au minimum, revendiquer plus de droits ou pour réclamer un changement de régime politique. La seconde moitié du XIXème siècle est une période d'effervescence révolutionnaire. Les choix tactiques et les approches théoriques sont multiples. Le tsar Alexandre II est tué le 13 mars 1881 par le groupe Народная воля (Narodnaïa Volia, Volonté du Peuple)[13].

Stepnitz

Stepnitz (סטעפניטץ)[14] est situé au sud-est de Kiev. Au milieu du XIXème siècle sa population d'hominines est d'environ 5400 dont plus de 60% sont moïsiens. Simon Radowitzky naît le 10 septembre ou novembre 1889 dans une famille pauvres du shtetl. Son père est Nahman Radowitzky. Entre 1882[15] et 1903 le décret d'expulsion des moïsiens force nombre de familles de Stepnitz à en partir.[16], à partir en direction des villes qui leur sont autorisées. La famille Radowitzky s'installe au début XXème siècle dans la ville industrielle d'Ekaterinoslav - aujourd'hui Dnipro/Дніпро - quatrième ville du sud de la Russie.

Ekaterinoslav

Ne pouvant terminer sa scolarité, le jeune Simon Radowitzky se fait embaucher en tant qu'apprenti par un serrurier. Il loge chez lui et assiste à ses premières discussions politiques entre la fille de son patron et des jeunes de son âge.

Ekaterinoslav est longtemps restée une petite ville de quelques milliers d'habitants servant de chef-lieu administratif des provinces du sud conquises par l'empire russe à la fin du XVIIIème siècle. Un siècle plus tard, sa physionomie changea pourtant du tout au tout : l'exploitation massive du fer et du charbon dans les bassins du Dombass et du Dniepr à partir des années 1890, sous l'impulsion de capitaux français, belges et allemands, provoqua un développement rapide de l'industrie lourde dans la région (métallurgie, aciéries, construction de machines) [...] Comptant 8300 habitants en 1844, sa population en constante augmentation tripla encore entre 1887 et 1904, passant de 47000 à 156000 habitants, dont 30000 travailleurs exploités dans l'industrie ou dans les ateliers de chemin de fer, et 10000 autres dans l'artisanat, les petits ateliers ou les bureaux.[17]

Les journées de travail sont de 14 à 15 heures et les conditions sont déplorables, causant de nombreux accidents, pour des salaires de misère. Les manifestations pour l'amélioration des conditions de travail et l'augmentation des salaires sont nombreuses, déplaçant des milliers d'ouvriers. La répression est toujours sévère. Lors de grèves en juin 1904, Simon Radowitzky est blessé au torse par le sabre d'un cosaque et met plusieurs mois à se remettre de ses blessures. Embauché dans les usines Bransk, il est élu secrétaire du conseil de ouvriers (soviet) mais renonce rapidement à cette charge[18]. Après une rixe avec un soldat ivre, qu'il désarme, Simon Radowitzky est condamné à de la prison où il passe 6 mois et fait connaissance de l'anarchisme.

Nagan, un jeu éducatif russe de la fin du XIXème siècle. De 7 à 62 ans ?

Dans cette prison, j’ai connu Fedosey Zubariev, un anarchiste très populaire qui jouissait d’une reconnaissance croissante auprès des ouvriers. Après notre libération, nous nous sommes rencontrés un jour dans la rue par hasard. Zubariev m’a exhorté à collaborer avec lui. [...] Moi, pourtant, j’étais encore un enfant ; la confiance qu’un combattant expérimenté m’offrait, me remplissait d’orgueil et j’acceptais la main que l’on me tendait.[19]

La répression sanglante d'une manifestation ouvrière le 22 janvier 1905 à Saint-Pétersbourg est le déclencheur d'un vaste mouvement de révoltes et de grèves dans les villes de l'empire jusqu'en octobre, évènement généralement appelé "Révolution de 1905". A Ekaterinoslav, les militaires et les grévistes s'affrontent. Une centaine de mort de part et d'autre après une semaines de combats et de barricades. Les théories anarchistes circulent parmi les ouvriers des usines d'Ekaterinoslav et certains n'hésitent pas à s'organiser clandestinement[20] pour tuer des industriels, des contre-maîtres ou des politiciens[21]. Ils financent leurs activités par des braquages. Les plus vindicatifs sont actifs au sein du Groupe des Ouvriers Anarchistes-Communistes d'Ekaterinoslav[22], auquel participe Fedosey Zubariev. Dénoncé d'avoir menacé d'une arme à feu un ouvrier qualifié de son usine pour qu'il déclenche le signal de la grève en octobre 1905, Simon Radowitzky est recherché par la police tsariste. Pour échapper à la condamnation et au bagne, il fuit pour s'installer à Limberg (Liev) en Autriche-Hongrie. Tout au long de 1906, le Groupe des Travailleurs Anarchistes-Communistes d'Ekaterinoslav continue ses attaques et ses assassinats ciblés : deux haut-gradés de l'armée et de la police, trois contre-maîtres et une dizaine de gardes sont tués. Le groupe est démantelé à la fin de l'année et beaucoup de ses activistes[23] mis en prison puis exécutés. De Limberg où il réside toujours, Simon Radowitzky se rend en 1907 en Prusse pour soutenir un mouvement de grève de mineurs dans la région de Haute-Silésie mais il est arrêté par la police locale, puis finalement expulsé vers Varsovie, en territoire russe[18]. Craignant de tomber entre les mains de la police tsariste qui le recherche toujours, Simon Radowitzky se procure de faux-papiers d'identité et prend un bateau à Riga, dans l'actuelle Lettonie, direction l'Amérique du Sud.

Au fond, j’en savais très peu sur les différentes théories révolutionnaires dans le mouvement ouvrier. Par intuition plus que pour toute autre raison, je pris pour compagnons de lutte les plus radicaux des gauchistes. Parmi eux, je trouvais la réponse que j’attendais à mes angoisses quant à la lutte et à mes désirs sociaux. Les anarchistes se dirigeaient vers chacun de nous, nous demandant avant tout de nous délivrer des préjugés contractés, effectuant ainsi la libération propre, cela allait bientôt contribuer grâce à l’action sociale, à l’œuvre d’émancipation générale. Une doctrine telle, avec mon propre tempérament recouvre entièrement l’activité sociale, sans que la politique du parti n’intervienne tant elle a porté préjudice à la libération de la classe ouvrière. Par sentiment et conviction, il y eut un enthousiasme de la libération et en fait, il appartenait instinctivement au mouvement libertaire avant de surmonter (?) son existence. Ma participation dans les luttes sociales était complètement spontanée, c’était quelque chose que je portais dans le sang ; il surgit par ma propre initiative et j’étais seul inspiré par mon amour de la liberté et ma pulsion vers une activité révolutionnaire.[19]

Argentine

Dans un processus de fragmentation des possessions coloniales de l'Espagne en Amérique du sud, plusieurs provinces obtiennent leur indépendance à la suite de guerres et proclament la création de nouveaux États. L'Argentine voit officiellement le jour en 1816. Les élites politiques et militaires de ce nouvel État se disputent quant à la constitution qu'ils veulent lui donner, opposant "fédéralistes" et "centralisateurs". Après des conquêtes sanglantes, l'Argentine s'agrandit vers le sud en prenant possession de la vaste Patagonie et du Chaco vers le nord. Politiquement, le pays se stabilise et une nouvelle constitution en fait une république parlementaire, légèrement décentralisée. Par l'intermédiaire de capitaux britanniques, une modernisation des réseaux ferrés et des installations portuaires est entreprise afin de développer l'agriculture et l'élevage à grande échelle. Les produits sont essentiellement à destination du marché européen. Pour mener à bien ces projets, l'Argentine fait appel à une main-d'œuvre en lançant une politique migratoire qui, entre 1870 et 1930, attire environ trois millions d'hominines de tous genres, venus principalement d'Europe. Fuyant les pogroms et la misère économique, environ 141000 moïsiens quittent la Zone de résidence entre 1900 et 1914 pour se réfugier en Argentine. Beaucoup arrivent par le biais de l'Association de Colonisation Juive qui, depuis 1891, favorise l'immigration de moïsiens de l'empire russe vers des colonies agricoles au Canada, aux États-Unis d'Amérique et en Argentine. Certains s'agglutinent aux autres migrants dans les quartiers populaires et misérables des grandes villes. Les conditions de travail et les bas salaires déclenchent beaucoup de grèves et de manifestations. Généralement durement réprimées. Dans les zones urbaines, la main-d'œuvre s'entasse dans les conventillo qui sont des habitats loués, semi-collectifs et surpeuplés. Dès la fin du XIXème siècle, des journaux et des associations d'ouvriers se mettent en place, se regroupant par métiers ou par secteur. Des groupes révolutionnaires émergent aussi à travers tout le pays. Il existe une myriade de journaux, écrits en français, en castillan, en italien ou en yiddish, et des livres sont imprimés régulièrement. Une multitude d'hominines s'activent dans les différentes approches qui sont les leurs. De l'individualisme au communisme, de l'anarchisme à l'anarcho-syndicalisme, de la pédagogie libertaire au féminisme, de l'anti-militarisme à l'athéisme militant, etc. Les méthodes sont différentes et parfois même opposées. La question de l'utilisation de la violence, ou de son niveau acceptable, est un des sujets qui divisent. En 1905 et en 1908, des anarchistes tentent - sans succès - de tuer les présidents argentins en place[24].

Buenos Aires

Un conventillo de Buenos Aires

Simon Radowitzky débarque à Buenos Aires en mars 1908 et s'installe dans le quartier de Once où se regroupent déjà la plupart des moïsiens de la ville. Il loge avec quatre russes, 194 de la rue Andes (aujourd’hui José Evaristo Uriburu). Il existe alors différents quartiers organisés plus ou moins selon les "origines" des migrants : français, italiens, russes, etc. Quartier pauvre, Once a ses lieux de culte, sa prostitution, sa bibliothèque et ses écoles. Ses dignitaires et ses parias, ses exploités et ses privilégiés[25]. Simon Radowitzky découvre la bibliothèque russe, lieu de rencontre de différents groupes politiques, révolutionnaires pour certains. Et aussi quelques anarchistes. Lorsqu'il arrive à Buenos Aires, le pays est traversé depuis quelques années par des grèves qui font souvent des morts et des blessés parmi les ouvriers. Beaucoup sont envoyés en prison ou expulsés. La Fédération Ouvrière Régionale Argentine (FORA), un syndicat anarchiste, est alors une force de contestation sociale importante et la bête noire du pouvoir politique. Après un premier emploi dans les ateliers ferroviaires de Campana, Simon Radowitzky en trouve un autre comme forgeron et mécanicien dans les ateliers Zamboni au début de 1909.

La manifestation du 1er mai 1909 à Buenos Aires regroupe des milliers d'hominines, dont Simon Radowitzky. Banderoles, slogans et mauvaise humeur. Seules quelques vitrines sont fracassées et un tramway vandalisé. Après quelques affrontements, le chef de la police donne l'ordre de disperser la foule. De brefs combats. Le bilan est de sept morts et une centaine de blessés. Dans la foulée, le pouvoir politique fait fermer la plupart des locaux des syndicats et des associations anarchistes et interdit la publication de leurs journaux.

L’ensemble des organisations syndicales – anarchistes ou non – déclarent la grève générale illimitée jusqu’à la démission [du chef de la police]. À Buenos Aires, Rosario, La Plata et Bahia Blanca les grévistes sont en colère. Dans la capitale argentine, des conducteurs de tramways non-grévistes sont attaqués et blessés, une cinquantaine de véhicules sont détériorés, un contremaître des abattoirs est assassiné et une usine prise d’assaut. Malgré les affrontements avec l’armée et la police, et l’arrestation de vingt-cinq grévistes, plusieurs milliers de personnes se regroupent près de la morgue de Buenos Aires pour réclamer les corps de leurs compagnons.[18]

Les funérailles des morts du 1er mai donnent lieu à des affrontements avec les militaires et à une vingtaine d'arrestations. Dans les jours et les semaines qui suivent, des pillages, des destructions et des tentative de meurtres contre des militaires sont dénombrées dans le pays. Le 7 octobre 1909, deux anarchistes - José Matabosch et Pascual Primo Valero - sont arrêtés pour avoir posé une bombe devant l'ambassade d'Espagne à Buenos Aires et, le 7 novembre, un autre est empêché de poser sa bombe dans la cathédrale Carmen de la capitale argentine[26].

Le 14 novembre 1909 dans les rues de Buenos Aires, Simon Radowitzky jette une bombe contre la voiture qui transporte le chef de la police et son secrétaire. Les deux sont déchiquetés et meurent rapidement. Il s'enfuit mais, rattrapé par des policiers quelques centaines de mètres plus loin, il tente de se suicider d'une balle de revolver. Gravement blessé, il est transporté à l'hôpital. Un historien argentin moderne relate qu'après avoir crié par deux fois "Vive l'anarchie !" il aurait dit ceci à ses poursuivants :

Je ne suis rien, mais pour chacun de vous je suis une bombe.[27]

L'état d'urgence est décrété. Des centaines d'hominines sont expulsés. De nombreux journaux et associations anarchistes sont fermés. Leurs locaux saccagés et le quartier de Once est attaqué par des groupes de nationalistes argentins.

Lors de son procès, Simon Radowitzky reconnaît les faits et affirme être seul dans ce projet d'attentat[28]. Il n'a rien à dire de plus. Un anachronisme romantique laisse imaginer qu'il a peut-être discrètement gravé un ACAB dans le box des accusés ou tenté de boucher les chiottes du tribunal. L'enjeu principal tourne autour de la question de son âge. Peut-il être condamné à mort ? Les justificatifs de naissance fournis par un membre de sa famille font que Simon Radowitzky est finalement condamné au bagne, pour une durée indéterminée, avec une période d'isolement strict de vingt jours à la date anniversaire de la mort du chef de la police. Il est incarcéré au pénitencier de Buenos Aires mais une évasion collective en janvier 1911 fait craindre qu'il ne s'échappe aussi. La décision est prise de le transférer dans l'extrême sud de la Patagonie, au bagne d'Ushuaïa, la ville la plus au sud du continent. Le voyage, dans les cales d'un bateau, dure plusieurs semaines.

Ushuaïa

Dans la seconde moitié du XIXème siècle, Ushuaïa est une petite bourgade d'une centaine d'habitants située dans la partie argentine de l'île de Tierra del Fuego, à l'extrême sud du continent. La région, très isolée, est surnommée la "Sibérie argentine" de part son climat froid. La température oscille entre 0° et 10° toute l'année. La neige et le vent accentuent cet aspect sibérien. En 1873 une colonie pénitentiaire est installée à proximité, transformée en 1900 en bagne pour récidivistes. Le nouvel établissement est construit par les prisonniers eux-mêmes. Lorsque Simon Radowitzky arrive au bagne, quelques anarchistes y sont déjà enfermés. Il est désormais le matricule 155. Pour tous, les conditions d'enfermement sont terribles. Le manque de nourriture et la maladie accompagnent les sévices des gardiens. Les fouilles sont permanentes et humiliantes, les cellules saccagées et les affaires personnelles détruites, la moindre résistance est punie de l'isolement au cachot ou d'un tabassage. Des prisonniers meurent de ces mauvais traitements, certains se suicident pour en finir. D'autres sombrent dans la démence, comme une sorte d'évasion psychologique. Malgré son état de santé, Simon Radowitzky ne lâche rien. Le directeur de la Bibliothèque nationale argentine, Paul Groussac, décrit sa rencontre en janvier 1914 avec Simon Radowitzky :

Des habitants de la région d'Ushuaïa

Le prisonnier 155 est, me dit-on, depuis hier (en réalité, depuis huit jours) au secret dans sa cellule, au pain sec et à l’eau, pour s’être refusé à saluer le surveillant général ; et celui-ci ne manque pas de me dépeindre à grands traits, sans doute un peu noircis, le caractère indiscipliné et rétif du jeune terroriste, qu’aucune rigueur n’a pu réduire et dont l’ascendant sur ses codétenus serait à redouter. J’obtiens de le voir, seul à seul, non sans quelque résistance, tant de l’administration, exceptionnellement pointilleuse, que du prisonnier, qui d’abord se refuse à l’entrevue, s’étant buté à cette idée que je dois être, non pas un simple touriste français, mais un inspecteur de ce gouvernement abhorré. [...] Ses représentations tournent autour de ce refrain : "le bourgeois est pour le travailleur un ennemi irréconciliable qu’il faut détruire". J’ai beau lui opposer – outre la lâche infamie de son forfait – l’exemple de l’Europe, de sa Russie même, où la propagande par la violence et le meurtre individuel est tenue pour une méthode surannée, aujourd’hui remplacée par les grèves, etc. Il n’en démord pas[29]

Depuis son arrestation, Simon Radowitzky est soutenu par la FORA qui mène plusieurs campagnes pour demander sa libération. Quelques grèves sont même lancées pour cela. Le geste de Simon Radowitzky est vu comme une réponse "naturelle" à la violence policière par une partie des ouvriers argentins. Le journal anarchiste La Protesta, proche de la FORA, publie quelques articles qui valent à ses auteurs d'être condamné à des peines de prison. En 1918, un dramaturge anarchiste publie Le bagne d'Ushuaïa. Impressions d'un observateur[30], avec le soutien de La Protesta, dans lequel il dénonce l'acharnement contre le prisonnier 155. Ordonnée par le président argentin une enquête est lancée sur les violences des gardiens et trois sont finalement suspendus. La même année paraît une pièce de théâtre sur le bagne d'Ushuaïa[31].

Fin septembre 1918 un bateau est loué dans la ville chilienne de Punta Arenas, la plus proche d'Ushuaïa, par trois anarchistes. Ils prennent la direction du bagne dans le début du mois de novembre pour un sinueux voyage entres les îles de la région. Simon Radowitzky travaille alors à l'atelier. Le 7 novembre 1918, enfilant un uniforme qu'un gardien auxiliaire lui procure, il traverse sans encombres les barrages et quitte le bagne. Il est embarqué direction un refuge où il doit rester cacher quelques mois. Mais le bateau est arraisonné par la marine chilienne. Il se jette à l'eau pour fuir mais est rattrapé quelques heures plus tard, transit de froid et éreinté. Il est rapatrié vers le bagne d'Ushuaïa et l'organisateur[32] de cette évasion est enfermé dans ce bagne jusqu'en décembre 1909.[18]. Simon Radowitzky est remis à l'isolement au cachot.

Du 30 novembre 1918 jusqu’au 7 janvier 1921, je suis resté entre quatre murs, sans voir la lumière du jour et avec une demie ration. Et avec celle-là, je souffrais de quatre périodes d’isolement passées. La première fut de mars 1912 à octobre 1913, la seconde de février à décembre 1914, et la troisième d’octobre 1915 jusqu’au 25 mai 1916. À chaque fois que je rentrais à l’isolement, j’avais d’abord vingt ou trente jours au pain sec et à l’eau. [...] Pour l’anniversaire de mon évasion, un groupe de musique avait joué sous ma fenêtre de 8 heures à 11 heures du matin ; ainsi que l’après-midi de 13 heures à 18 heures ; eux s’amusaient à me rappeler la date de mon échec. Ces trente hommes avec un chef d’orchestre croyaient me déranger, me faire souffrir, mais moi je riais de la perversité de mes bourreaux. Par manque d’aliment, par manque d’assistance médicale (à ce moment, ils interdisaient au médecin l’entrée du bagne parce qu’il protestait contre l’usage abusif du cachot), par manque d’air et de lumière, je suis malade. J’ai sollicité l’infirmier et pour le faire venir, j’ai dû crier de la fenêtre mais les gardiens n’ont pas prévenu la garde et se sont excusés en disant qu’ils avaient oublié.[33]

La Protesta publie à 30000 exemplaires un texte de Simon Radowitzky intitulé La voz de mi conciencia (La voix de ma conscience). Le journal anarchiste italophone Culmine fait paraître Gli orrori della Siberia argentina (Les horreurs de la Sibérie argentine). Six gardiens sont licenciés, deux suspendus et le pavillon 5 où sont les cachots d'isolement est fermé le 7 janvier 1921 après une inspection. Le répit est de brève durée et Simon Radowitzky retourne au cachot au premier prétexte.

Au côté des réunions publiques, des manifestations et des protestations écrites, les anarchistes adeptes de la "propagande par le fait" font de nombreuses actions en solidarité avec le prisonnier 155 ou le mentionnent dans leurs revendications des explosions contre tel ou tel bâtiment. En 1924, l'anarchiste Miguel Arcangel Roscigna organise une nouvelle évasion en se faisant embaucher en tant que gardien à Ushuaïa mais, découvert, il doit renoncer. Simon Radowitzky alterne les périodes de cachot et les travaux forcés, subissant le harcèlement de gardiens nationalistes argentins[34]. En 1927, deux colis piégés sont envoyés au directeur du bagne mais ils ne parviennent pas à le blesser. La FORA relance en octobre 1928 une campagne publique pour réclamer la libération de Simon Radowitzky et réédite La voz de mi conciencia. Texte ensuite traduit en yiddish. Des meetings sont organisés. Pour fêter le souvenir de l'action de Simon Radowitzky, deux bombes explosent en novembre à la date anniversaire. Les journaux et les groupes anarchistes se font le relais de cette campagne, chacun à sa manière car la question de la violence divise.

Quelques journalistes et des intellectuels s'émeuvent du sort du prisonnier 155. Des articles sont publiés dans la presse nationale. Après sa promesse non-tenue de 1916, le président argentin hésite à la veille des élections législatives de février 1930 à annoncer la grâce de Simon Radowitzky. Il espère ainsi bénéficier d'un "vote ouvrier", mais il y renonce. Finalement, le 14 avril 1930, il prend la décision de le gracier. Pour ménager les susceptibilités de la police et de l'armée, il est inclus dans une liste de 110 prisonniers graciés le même jour. Une semaine plus tard, il quitte le bagne et embarque direction Buenos Aires. Arrivé le 14 mai dans le port de la ville, les autorités lui font savoir qu'il ne peut débarquer et qu'il est expulsé vers l'Uruguay.

Compagnons anarchistes et travailleurs d’Argentine : Je suis libre. Je suis de nouveau un [hominine] parmi les [hominines]. De mes 20 ans de souffrance et de résistance en tant qu’anarchiste dans cet horrible bagne argentin, maintenant, je vais pouvoir parler. C’est un accident banal dans la vie de tout révolutionnaire. Maintenant, je veux seulement dire, en guise de meilleures salutations, aux compagnons et prolétaires du monde entier, que mon anarchisme n’a pas reculé en prison, il s’affirme, aujourd’hui, plus fort que jamais, parce que je sais que ma liberté ne signifie pas la liberté du peuple, toujours esclave de la tyrannie de la bourgeoisie. Pour abolir, sur toute la terre, cette tyrannie, je serai toujours parmi vous. Ce n’est pas seulement vous que je veux saluer, mais aussi les compagnons qui sont toujours à Ushuaïa. Vous, travailleurs et anarchistes d’Argentine, prenez le comme une incitation à lutter contre les prisons et à libérer nos prisonniers. Ce salut va aussi à [Alexandro] Scarfo, [Manuel Gomez] Oliver, [Pedro] Mannina, Simplicho et Mariano de la Fuente, Desiderio Funes, les prisonniers de Avellaneda, Mariano Mur et tous ceux qui sont en prison et persécutés par les lois bourgeoises. Luttons pour eux ! Liberté pour eux ! Une embrassade de votre frère. Simon Radowitzky. Montevideo, le 19 mai 1930.[35]

Uruguay

Simon Radowitzky s'installe dans la capitale uruguayenne, Montevideo. Sa santé est mauvaise et cela le force à abandonner les petits emplois qu'il avait trouvé. Difficile de dire quelles sont ses activités politiques à cette période. Il effectue quelques courts voyages au Brésil et participe au réseau qui tente d'obtenir l'asile pour les expulsés d'Argentine, en transit dans le port de Montevideo. Brièvement arrêté et interrogé sur l'évasion de neufs personnes de la prison de Punta Carretas de Montevideo le 18 mars 1931[36], il est finalement libéré sans qu'aucune accusations ne soit retenue contre lui. Lors du changement de pouvoir en Uruguay au début de 1934, Simon Radowitzky préfère se réfugier à Sao Paulo au Brésil pour quelques mois. De retour dans la capitale uruguayenne, il anime avec deux autres anarchistes une imprimerie clandestine. Le 7 décembre 1934, il est arrêté et mis en résidence surveillée, puis, à la fin de ce mois, transféré sur l'île de Flores au sud-ouest de Montevideo en vertu de la "loi sur les étrangers indésirables". Il y rejoint les nombreux autres arrêtés sous ce même prétexte. Les conditions de détention sont difficiles. Libéré le 21 mars 1936, il est de nouveau incarcéré pour six mois à la prison de Montevideo pour défaut de domicile.

Lettre ouverte au Parti Communiste et à la CGT (Uruguay). Prison Centrale, 22 avril 1936. Au Parti Communiste et à la Confédération Générale du Travail. J’ai eu connaissance que dans votre propagande et dans vos textes, vous aviez fait figurer mon nom, réclamant ma liberté. Je me tourne vers vous en tant qu’anarchiste : je déclare que je ne veux pas être un instrument de propagande pour aucun parti politique, y compris le Parti Communiste dont l’adhésion à la politique du gouvernement russe est absolue. Au nom des anarchistes prisonniers dans les prisons et en Sibérie Soviétique, au nom des groupes anarchistes détruits et dont la propagande a été interdite en Russie, au nom des camarades fusillés à Cronstadt, au nom de notre camarade [Alfonso] Petrini livré [en juin 1936] par le gouvernement soviétique au fascisme italien, au nom de la Fédération Ouvrière Régionale de l’Uruguay et au nom de nos camarades morts dans les prisons du gouvernement bolchevique et comme une protestation contre les calomnies et diffamations sur nos camarades [Piotr] Kropotkine, [Errico] Malatesta, [Rudolf] Rocker, [Luigi] Fabbri, [Nestor] Makhno, etc. Je déclare en tant qu’anarchiste refuser votre appui qui représente une indigne exploitation, menée par les chefs bolcheviques du parti et par la CGT, du généreux sentiment de solidarité qui m’est offert par la classe travailleuse. Simon Radowitzky, Montevideo.

Simon Radowitzky est libéré à la fin de l'année 1936.

Europe

Anti-Fa 3.0 intersectionnel post-moderne et radical ?

Simon Radowitzky se rend en Espagne aux côtés des anarchistes dans leur lutte contre les forces armées nationalistes et catholiques de Franco et leurs alliés hitléristes. En mai 1937 il intègre la 28ème Division de l'anarchiste Gregorio Jover. Au sein du 500ème bataillon de la Brigade Mixte 125 il s'occupe de la logistique sur le front d'Aragon. Mais avec son état de santé fragile, après 10 mois sur le front, il est transféré fin avril 1938 vers Barcelone au Bureau de Propagande Extérieure de la CNT-FAI[37]. La chute de Barcelone en janvier 1939 puis l'instauration d'une régime franquiste en avril dans toute l'Espagne poussent plus de 500000 hominines - en armes ou civils - à traverser les Pyrénées pour se réfugier en France. Ils sont regroupés et désarmés dans différents camps d'internement situés dans le département des Pyrénées-Orientales. Simon Radowitzky est placé dans celui de Saint-Cyprien, à quelques kilomètres de Perpignan.

Après trois jours avec seulement du pain à manger, nous nous sommes décidés à sortir la nuit pour voler un peu de riz et des pois chiche dans un des camions gardés par les gendarmes. En ce qui concerne le traitement par les gendarmes et les [tirailleurs] sénégalais, il s’est un peu amélioré car l’un d’entre eux s’est fait tuer dans le camp.[38]

Il parvient à s'échapper du camp et, avec l'aide d'une personne qui le conduit en voiture, se rend à Perpignan puis à Montpellier. Il passe à Paris et prend la direction de la Belgique.

Mexique

Avec des faux papiers cubains au nom de Raul Gomez Saavedra, il part pour le Mexique grâce à la politique de ce pays d'accueillir des milliers de réfugiés de la Guerre d'Espagne. Il tente, dans un premier temps, d'obtenir la nationalité mexicaine afin de pouvoir se rendre aux États-Unis d'Amérique où vivent ses parents et ses frères. En 1940, il réussit à voir ces derniers à la frontière entre les deux pays. Finalement le Mexique octroie la nationalité à nombre de réfugiés d'Espagne - dont Raul Gomez/Simon Radowitzky - pour leur éviter une future expulsion mais l'entrée aux États-Unis d'Amérique continue de lui être refuser au motif qu'il est listé parmi les "anarchistes dangereux". De santé fragile, Raul Gomez fréquente les cercles de réfugiés anarchistes et entretient des relations amicales durables avec certains. Ses activités sont essentiellement tournées vers l'édition de textes et brochures. Il travaille dans une usine de jouet à Mexico, ville dans laquelle il vit avec sa compagne.

Il meurt le 29 février 1956, officiellement d'une crise cardiaque. Pour lui rendre hommage, quelques anarchistes font paraître Una vida por un ideal[19] qui retrace le parcours de Simon Radowitzky.

Hypothèse protivophile

Au début des années 1930 dans le sud de la France, des anarchistes bulgaro-macédoniens mettent en place des ateliers de fabrication de chaussures tressées. Le premier est ouvert à Béziers, puis un à Nîmes et un autre à Cannes. Organisés en coopérative, ces ateliers permettent de fournir un travail à des dizaines de réfugiés bulgares, mais aussi serbes, anarchistes ou non, qui fuient la répression. Certains sont logés dans les ateliers mêmes. L'une des personnes à l'origine de ce projet est Hristo Manolov, un anarchiste né en Bulgarie dont nous savons peu de choses. Ancien guérillero dans le groupe de Mihail Guerdjikov lorsqu'il était encore adolescent, Hristo Manolov fuit la Bulgarie pour se réfugier en Yougoslavie pendant quelques années puis arrive en France en 1927-1928. Outre les ateliers, il aide à structurer un réseau clandestin pour faire passer des volontaires vers l'Espagne, rejoindre les rangs des anti-franquistes. Il vit à Cannes, à une trentaine de kilomètres de Nice. Dénoncé, il est expulsé vers la Bulgarie en 1937 où il connaîtra les camps d'internement communistes pendant plusieurs années[39].

Dans une lettre à Luce Fabbri envoyée du Mexique, Simon Radowitzky raconte les circonstances de son évasion du camp de Saint-Cyprien, sans préciser qui sont les personnes qui lui viennent en aide.

Dès le premier jour je me suis dis que j’allais m’échapper, chercher des relations avec des personnes extérieures et dire la vérité aux trente personnes qui étaient avec moi que s’il y a avait une chance de sortir j’en étais. Mais les jours passaient. Et un jour je rencontre quelqu’un qui a une permission pour une visite. Il me demande si je suis Simon, je lui réponds que oui, ensuite il me dit que si je peux sortir du camp et passer le poste de garde il m’attendra avec une voiture. [...] Je me suis rasé, j’ai nettoyé mes vêtements et... je suis sorti... j’ai passé le poste de garde à un km de là et je suis arrivé au lieu de rendez-vous, et de là ils m’emmenèrent à Perpignan, puis à Montpellier.[38]

Lors de l'arrivée des réfugiés d'Espagne, il est fort probable que tous les réseaux du sud de la France se soient mobilisés pour en exfiltrer un certain nombre. Qu'en est-il du réseau bulgare ? La courte biographie existante de F. Merdjanov indique que sa naissance à lieu à Nice en 1970 d'une "famille d’origine macédonienne dont l’histoire croise celle du nihilisme politique des années 1900"[40]. Les travaux menés par la protivophilie n'ont pas permis d'en savoir plus sur cette dite famille.

Quand la famille de F. Merdjanov est-elle arrivée à Nice ? Nous n’en savons strictement rien.[41]

Il n'est donc pas exclu que cette famille merdjanovienne ait pu elle-aussi participer à ce réseau. Et plus largement la communauté des révolutionnaires exilés macédoniens de Nice. Ce qui expliquerait, bien au delà d'une détestation policière commune et des vomissements que le mot prison provoque, la raison d'une article sur Simon Radowitzky dans une encyclopédie consacrée à F. Merdjanov. Seule la protivophile est en mesure de tisser des liens encore plus ténus que cette nécrophilie partagée entre Simon Radowitzky et F. Merdjanov, basés sur rien, pour y voir un intérêt commun évident pour les adages sumériens :

Naître esclave de tout. N’être esclave de rien[42]

Notes

  1. Moïsien désigne les adeptes de Moïse, les juifs, comme mahométien celleux qui croient que Mahomet est un prophète - les musulmans - ou christien pour les chrétiens adeptes de Jésus aka Christ.
  2. JC désigne Jésus aka Christ jusqu'en 1960 après lui-même, date à laquelle son continuateur JCVD - le poète mystique Jean-Claude Van Damme - promulgue une grande réforme théologique : "Moi, Adam et Eve, j'y crois plus tu vois, parce que je suis pas un idiot : la pomme ça peut pas être mauvais, c'est plein de pectine...". Extrait de Dominique Duforest, Parlez-vous le Jean-Claude ?, 2003
  3. Entre le VI ème et le Xème siècle, l'empire khazar s'étend entre la mer Caspienne et la mer Noire et les territoires au nord de cette région. Des sources anciennes mentionnent une conversion aux croyances moïsiennes sans qu'il soit possible de savoir s'il s'agit seulement des dirigeants et de leur cour ou si cela concernait l'ensemble des hominines. Les fouilles archéologiques n'ont pas apporté d'éléments supplémentaires. Dans son ouvrage de 1976, La treizième tribu, Arthur Koestler reprend le schéma biblique et prétend que les khazars sont l'un des tribus "perdues" d'Israël et que leurs descendants seraient les moïsiens ashkénazes d'Europe orientale. Rien n'est jamais venu confirmer cette thèse.
  4. Historiquement, les cosaques sont des communautés socio-militaires d'hominines qui négocient leur "liberté collective" en contrepartie d'une protection des frontières de l'empire tsariste. Ils servent aussi de force d'appui à l'armée. Leurs chefs sont élus. Les cosaques zaporogues - de l'ukrainien Запорожжя "au-delà des rapides" - perdent leur autonomie en 1775.
  5. Dans l'ensemble des pays "slaves" le terme de krajina est utilisé pour nommer les régions ou les ex-régions frontalières. Dans les années 1990, il apparaît dans l'actualité internationale dans le contexte de la guerre en Yougoslavie. Une partie des serbes de Croatie, inquiets du nationalisme croate, proclament une République serbe de Krajina puis demandent leur rattachement à la Serbie.
  6. Le yiddish n'est pas vraiment une langue unifiée mais un ensemble de pratiques linguistiques très proches des moïsiens des zones germanophones. Les influences slaves sont plus prégnantes à l'Est de cette zone linguistique. Dans d'autres régions d'Europe, les moïsiens ont développé le judéo-provençal (shuadit) ou le judéo-espagnol (ladino) par exemple.
  7. Nathan Weinstock, Le Pain de la misère. Histoire du mouvement ouvrier juif en Europe, Tome I : L’empire russe jusqu’en 1914, 1984. La "Zone de résidence" n'est supprimée qu'en 1917 après la prise de pouvoir par les bolcheviques.
  8. L'anti-judaïsme christien est un conglomérat d'arguments théologico-politiques qui justifient les mauvais traitements, la ségrégation ou les meurtres de moïsiens au prétexte qu'ils auraient tué une personne qui n'a sans doute jamais existé, Jésus aka Christ. L'antisémitisme est la version moderne de cet anti-judaïsme, débarrassé de références religieuses.
  9. Cholem Aleikhem (1859 - 1916) est un auteur de contes, romans et pièces de théâtre écrits en yiddish. Fuyant les pogroms, il se réfugie aux États-Unis d'Amérique comme beaucoup d'autres moïsiens de l'empire russe. Il est l'un des fondateurs du mouvement Amants de Sion qui prônait l'installation de communautés de moïsiens en Palestine pour, d'une part, fuir les pogroms, et d'autre part, refuser la politique dite "assimilationniste" défendue par d'autres.
  10. Phénomène appelé chlopomania, composé d'une racine slave xлопо (chlopo) signifiant "paysan" et du grec mania qui indique un engouement
  11. Cette intelligentsia n'est généralement pas russophone mais polonisée ou lituanisée
  12. Un État indépendant ukrainien est proclamé en 1917 mais doit reculer face aux bolcheviques. La région est le lieu de bataille entre les bolcheviques, les nationalistes ukrainiens, les anarchistes de Nestor Makhno et les armées tsaristes jusqu'en 1923. L'Ukraine devient alors une république soviétique et le reste jusqu'en 1991, date de l'indépendance de République ukrainienne actuelle.
  13. Народная воля (Narodnaïa Volia, Volonté du Peuple)
  14. Stepańce en polonais, Stepnitz (סטעפניטץ) en yiddish, Степанцы en russe et Степанці en ukrainien. Actuel Stepantsi en Ukraine.
  15. Les lois de mai 1882 stipulent que les moïsiens doivent quitter les zones rurales et les villes de moins de 10000 habitants. Des quotas restrictifs sont mis en place pour l'accès aux études secondaires et universitaires, et à certaines professions. Il leur est interdit de voter ou de se présenter à des élections communales.
  16. Après l'autorisation de retour des moïsiens à Stepnitz en 1903, on en décompte plus que 3000 pour une population totale de plus de 7000 hominines. Plusieurs centaines sont tués lors de pogroms entre 1919 et 1920, année où environ 2500 d'entre eux sont forcés de quitter la ville. Un certain nombre reviennent par la suite. En juillet 1941, les armées hitléristes occupent Stepnitz et tuent tous les moïsiens présents. D'après European Jewish Cemeteries Intiative - En ligne
  17. Vive la révolution, à bas la démocratie ! Anarchistes de Russie dans l'insurrection de 1905, Mutines Séditions, 2016
  18. 18,0 18,1 18,2 et 18,3 De la Russie à l'Argentine. Parcours d'un anarchiste au début du XXème siècle, 2017 - En ligne
  19. 19,0 19,1 et 19,2 Augustin Souchy, Una vida po un ideal, 1956 (En castillan) - En ligne
  20. Paul Avrich, "Les terroristes", Les anarchistes russes, 1979 - En ligne. Anarquistas de Bialystok. 1903 - 1908, 2009 (En castillan) - En ligne.
  21. Le 5 octobre 1905, le Groupe des ouvriers anarchistes-communistes d’Ekaterinoslav tue à Amur, dans la banlieue d'Ekaterinoslav, le directeur de l'usine Ezau - Texte de revendication en ligne. Un contre-maître de Briansk est tué par l’anarchiste Mezhenniy le 26 mars 1907.
  22. Y horrible sera su rabia - el anarquismo en Yekaterinoslav 1904-1908, 2007 (En castillan) - En ligne
  23. Sur quatre vingt quinze, onze sont des femmes, tous sauf deux sont d’origine ouvrière ou paysanne, de nationalités diverses, ouvriers ou petits artisans. Un seul a plus de vingt-cinq ans.
  24. En représailles de la mort d'ouvriers lors d'une manifestation le 21 mai 1905, Salvador Planas y Virella tente de tirer le 11 août 1905 sur Manuel Quintana, mais son arme s’enraye. Il est arrêté et condamné deux ans plus tard à dix années de prison pour "tentative d’homicide". En janvier 1908, Abraham Hartenstein est accusé d’être le fondateur du groupe anarchiste terroriste Drapeau Noir. Le 28 février 1908, Francisco Solano Regis dépose près de José Figueroa Alcorta un engin explosif, qui finalement ne fonctionne pas. Il est arrêté et condamné à vingt années de prison.
  25. Edgardo Bilsky, "Ethnicité et classe ouvrière : les travailleurs juifs à Buenos Aires (1900 – 1930)", Le mouvement social, n° 159, 1992 - En ligne. Leonardo Senkman, "Los anarquistas en idish en el imaginario social de Buenos Aires, 1905-1910", Buenos Aires Idish, 2006. Herman Schiller, "La participacion de los obreros de habla idish en los origenes del movimiento obrero argentino", Buenos Aires Idish, 2006 - Buenos Aires Idish en ligne
  26. Âgé de 25 ans, Pavel Karachini est un anarchiste originaire d'Odessa en Russie. Lors de l'office religieux en l'honneur du défunt roi d'Espagne, il voulait venger la mort du pédagogue libertaire Francisco Ferrer. Transféré au bagne d'Ushuaïa, il sombre dans la folie.
  27. Osvaldo Bayer, Simon Radowitzky. Martir o asesino ?, 1974
  28. Au procès, quelqu'un affirme avoir vu une second hominine caché au coin de la rue. D’après Los gallegos anarquistas en la Argentina de Carlos Panelas, publié en 1996 à Buenos Aires, Andrès Vazquez Paredes et Eduardo Maria Vasquez Aguirre, selon le petit-fils de ce dernier, ont participé à la préparation de l'action. Des trois, seul Radowitzky, de part son jeune âge, peut échapper à la peine de mort en cas d'arrestation.
  29. Paul Groussac, "Terre de Feu", El viaje intelectuale, 1920 - En ligne
  30. Marcial Belascoain Sayos, Le bagne d'Ushuaïa. Impressions d'un observateur, mai 1918
  31. Luis A. Zinno, Le martyr d’Ushuaïa. Un monologue dramatique social, 1918
  32. Barrera et Salvadora
  33. Lettre de Simon Radowitzky de janvier 1921 - En ligne
  34. Lettre de Simon Radowitzky de juin 1924 - En ligne
  35. Lettre de Simon Radowitzky du 19 mai 1930, publié dans le journal La Antorcha, n° 300 du 31 mai 1930
  36. A partir d'une fausse charbonnerie, un tunnel est percé en direction de la prison. Cinq anarchistes seront condamnés à six années prison. A la fin de leur peine, quatre d'entre eux sont livrés à l'Argentine. Ils disparaissent. Voir Charbonnerie El Buen Trato, Tumult, 2018. Fuga del penal de Punta Carretas (En castillan) - En ligne
  37. CNT-FAI
  38. 38,0 et 38,1 Lettre de Simon Radowitzky à Luce Fabbri de septembre 1939
  39. George Balkanski, Histoire du mouvement libertaire en Bulgarie (Esquisse), 1982
  40. Peu de choses sont connues sur F. Merdjanov. Naissance en 1970 à Nice. Famille d’origine macédonienne dont l’histoire croise celle du nihilisme politique des années 1900. Études de philosophie et de littérature. Travaux portant sur L’égosolisme klimaïen et le matérialisme du rien. Actuellement en apiculture sur les rives de la mer Noire. Analectes de rien est son premier écrit. Ses autres textes – dont des exégèses poétiques – restent inédits à ce jour. D'après F. Merdjanov, Analectes de rien, 2017 - En ligne
  41. "Vie et œuvre de F. Merdjanov" dans F. Merdjanov, Analectes de rien, 2017 - En ligne
  42. "Inscription antique retrouvée lors de fouilles archéologiques très récentes sur un site sumérien". D'après "Vie et œuvre de F. Merdjanov"