Modeste

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Modeste (скромен en macédonien - modèst [1] en nissard) Euphémisme quotidien


[En cours de rédaction]


Étymons

Comme beaucoup de mots de la langue française, modeste est issu du latin. On retrouve modestus sous différentes formes dans d'autres langues ouest-européennes actuelles influencées elles-aussi par le latin, tel modesto en italien, en castillan, en portugais ou en galicien. Tel modest en catalan et en roumain, ou modèst en nissard. Contrairement aux autres langues germaniques qui se basent sur un étymon différent, l'anglais moderne retient modest sous l'influence de l'anglo-normand [2]. Grand spécialiste des cultures et des langues anglaises et françaises, et de leurs interactions, le britannique Rowan Atkinson tente dans son essai Johnny English de définir au mieux les nuances entre le français modeste et l'anglais modest. Se basant sur les liens profonds qui interpénètrent linguistiquement et historiquement les deux rives de la Manche, il propose pour cela une définition imagée et sensible : "Je crois que j'aimerais mieux qu'on m'empale le derrière sur un cactus géant plutôt que d'échanger des platitudes avec ce parvenu de français prétentieux. Si vous voulez mon avis, les seuls convives que les français sont bons à accueillir sont des envahisseurs." [3] Moins féru de botanique, Pierre Vandrepote préfère une approche plus pratique de modeste :

Modeste lexique français-anglais [3]

Transformer le monde n’est pas une entreprise à la mesure de l’Unique, il n’entretient aucune illusion là-dessus ; il sait aussi qu’il n’y a pas à "changer la vie" mais à créer de la vie, à créer sa vie, ce qui est — comme on voudra — plus modeste ou plus ambitieux. L’Unique n’attend rien ni des idéologies politiques ni des mythes collectifs, il ne croit qu’à ce qu’il est capable d’impulser lui-même. [4]

Dans toutes ces langues, modeste a des sens qui sont des variations autour de la thématique de l'absence d'excès, de la retenue ou de la simplicité. Modestus dérive du latin modus qui a le sens de "mesuré", c'est-à-dire dont les limites ont été défini. Cet étymon donne au latin de très nombreux mots de vocabulaire que le français a conservé avec modique [5], modération ou modicité [6], pour n'en citer que quelques uns, qui définissent une taille réduite ou une restriction. Le glissement de modus vers le sens restrictif de "règle" ou de "cadre" est encore présent en français dans les locutions latines modus vivendi et modus operandi, respectivement "mode de vie" et "mode opératoire". En français, un mode est une manière de faire. Et le faire grosso modo [7], c'est le faire à gros traits, approximativement. Une mode est une manière de voir ou d'être. Être moderne, c'est être à la mode du moment. L'adjectif aujourd'hui disparu modeux et modeuse est utilisé pour désigner le caractère habituel de quelque chose. Avec le sens de règle, la langue française possède, par exemple, moduler [8] ou modifier [9]. L'origine de l'étymon latin est discutée parmi les étymologistes. Il est parfois rattaché au grec antique μῆδος (mêdos) qui a le sens de "conseil" et forme les mots méditer [10] ou remède et leurs dérivés. Lorsqu'illes [11] étendent leur raisonnement, les étymologistes tentent de rapprocher cette racine grecque de celle qui forme les mots médecine et médicament, et leurs nombreux dérivés, et qui a le sens de "prendre soin".

L'adjectif modeste est constitutif du nom féminin modestie, de l'adverbe invariable modestement et de l'adjectif modestissime. S'y ajoutent les antonymes immodeste, immodestie et immodestement. La modeſteté ou modesteté [12] n'est plus listée dans les dictionnaires actuels, au seul profit de modeste. Idem pour les formes nominales modestin et modestine qui n'existent plus qu'en tant que prénom désuet, comme l'est Modeste. Attesté depuis le milieu du XIVème siècle après JC [13] dans le vocabulaire de l'ancien français [14], le verbe amodester [15] avec le sens de "tempérer" n'ai pas retenu dans la première édition du Dictionnaire de l'Académie française, datée de 1694. Selon les travaux des lexicographes, la modestance ne semble pas avoir été utilisée, contrairement à modérance [16] et amodérance [17] qui ont aussi le même sens de "action de tempérer".

Usages

Les lexicographes et autres spécialistes des langues classent généralement le vocabulaire et les pratiques linguistiques selon ce qu'illes appellent les "registres de langue" : familier, courant et soutenu. Les subtilités entre "Rien à cirer", "J'en ai rien à faire" et "Rien ne me chaut". Lorsque le souteneur François-Marie "Voltaire" Arouet dit "Peu me chaut d’où elle est sortie. Je ne comprends rien à votre galimatias." [18] il est possible de le traduire par "J'me fout d'où elle sort. J'comprends rien à vot' charabia". À ces trois niveaux, il faut ajouter les registres vulgaire et argotique. L'un utilise souvent un vocabulaire lié à la sexualité et le second peut sembler être une autre langue. "Rien à branler" et "Keud' à treuf" [19] sont les équivalents vulgaire et argotique du "J'en ai rien à faire" courant. Cette séparation en plusieurs registres de langue est assez subjective car elle dépend très largement du milieu social des hominines [20]. Dans des sociétés hiérarchisées et pyramidales, le vocabulaire du registre soutenu est celui des hautes sphères sociales, politiques, économiques et intellectuelles qui sont numériquement les moins nombreuses et le familier est celui de l'écrasante majorité des hominines pour qui il est simplement la langue de tous les jours. Pour elleux, la distinction nette entre familier et courant n'est pas une réalité langagière. Pour se persuader de la dimension sociale qui se joue dans un dictionnaire, il suffit d'en consulter un et de voir comment sont qualifiés les mots répertoriés. Les catégories "populaire", "argotique" ou "vulgaire" remplissent ce rôle discriminant. Même problématique avec le vocabulaire vulgaire qui n'est pas le même suivant la place de l'hominine dans la hiérarchie sociale. Si le "Salope" peut être interclassiste, le "Putain de toi" l'est beaucoup moins. Les registres de langue ne concernent pas que le vocabulaire. La grammaire est largement impactée par la réalité sociale des hominines qui parlent. Par exemple, "Rien à faire", "J'en ai rien à faire" et "Je n'en ai rien à faire" — qui représentent respectivement les registres familier, courant et soutenu — n'utilisent pas le négatif de la même manière. Dans la première locution la négation est implicite et induite par le choix des mots, dans la seconde elle est explicite et est marquée par le seul rien. Dans la dernière locution la construction est conforme à la règle grammaticale qui impose la présence de ne, ni ou n’ et d'une seconde négation — pas, plus ou rien — pour marquer une négation entière. En plus de ces discriminants de grammaire et de vocabulaire, la normalisation linguistique invisibilise toutes les manières de prononcer selon la condition sociale ou la géographie. Outre qu'il peut ne pas avoir le même sens, rien ne se prononce pas exactement de la même manière dans les quartiers riches et pauvres. Idem pour les différentes régions où se parle le français. Pour un même "Rien", la prononciation n'est pas identique entre les parties nord et sud de la France. [ʁjɛ̃] dans l'une, [ʁjẽ] dans l'autre. Selon la poétique du marseillais Julien "Jul" Mari modeste rime autant avec gueux ou dégueu [21] qu'avec peste ou déteste car selon l'accent de sa région le "e" final est sonore. Les discriminations liées aux pratiques linguistiques, au registre de langue ou à la prononciation se nomment glottophobie. Elle touche nombre d'hominines. Préférant modifier son prénom pour conserver son anonymat, le rappeur Jacques Tardieu restitue le témoignage de La môme Néant :

Quoi qu’a dit ? – A dit rin.
Quoi qu’a fait ? – A fait rin.
A quoi qu’a pense ? – A pense à rin.

Pourquoi qu’a dit rin ?
Pourquoi qu’a fait rin ?
Pourquoi qu’a pense à rin ?

– A’ xiste pas. [22]

Modeste n'échappe pas aux phénomènes qui touchent les autres mots du vocabulaire français. Son emploi et ses significations diffèrent selon les hominines qui l'emploient et selon la situation sociale qui est la leur.

Simples

Fausse-modestie

Le terme modeste est d'un usage courant et, selon le Trésor de la langue française, sa signification est généralement "Qui a de la modération, de la retenue" et "Qui ne cherche pas à se mettre en valeur, à faire étalage de ses qualités ou de son savoir". Suivant cet usage populaire, est modeste une personne qui ne "se la raconte pas", qui fait preuve de modestie. Ses synonymes les plus proches sont la discrétion, l'effacement ou la réserve, à l'opposé de l'orgueil, de la vanité, de la fierté ou de la prétention. En français, modeste est épicène [23], c'est-à-dire que sa forme est identique au masculin et au féminin grammatical. Dans la réalité des faits d'une organisation sociale binaire et discriminatoire, l'hominine mâle est taxé de modeste lorsqu'il est connu pour être raisonnable, alors que l'hominine femelle l'est lorsqu'elle demeure effacée, discrète. L'un est dans la retenue, l'autre dans la timidité. Monsieur est un extraverti qui se contrôle et madame est une introvertie qui se soigne. À définition similaire, l'usage est toujours chargé de sous-entendus ou de constructions sociales sous-jacentes. Cela est moins évident avec les termes épicènes. Cela l'est plus avec, pour quelques exemples parmi tant d'autres, chaud et chaude, ouvert et ouverte ou bon et bonne, qui peuvent induire une connotation sexuelle dans l'emploi au féminin. Ainsi, un "homme facile" est une personne accessible et gentille alors qu'une "femme facile" est une personne qui succombe aisément aux propositions sexuelles. Au cours des XVIIème et XVIIIème siècles, dans le style vestimentaire de leur époque, les hominines femelles des hautes classes sociales portent trois jupons, celui "de dessus s'appelle la modeste, [celui] de dessous la secrète, et l'entre-deux la friponne" [24]. Un modeste est alors aussi un "petit mouchoir placé à l'encolure d'un corsage pour en voiler le décolleté" [25]. Au XIXème siècle encore, un hominine mâle modeste est humble alors qu'une hominine femelle modeste est pudique. Deux siècles plus tard, la dimension sexuelle ou morale semble avoir disparu dans l'usage courant de modeste.

Le prénom Modeste et ses dérivés que sont Modestin et Modestine sont rares. Même s'il est épicène, Modeste est le plus souvent utilisé pour des hominines femelles que pour des mâles. Hormis quelques cas de fanatiques christiens qui n’intéressent pas la protivophilie, l'histoire récente n'a retenu que très peu d'hominines portant ces prénoms. Les plus célèbres Modeste sont l'ancienne esclave Modeste Testas [26] qui vécut au XVIII et XIXème siècle entre l'Afrique de l'est et Haïti, et le personnage littéraire de Modeste Mignon, une jeune bourgeoise sortie de l'esprit de l'écrivain Honoré de Balzac dans la première moitié du XIXème siècle [27]. Modestin et Modestine sont plus communément employé en tant que nom de famille qu'en tant que prénom. La communarde Louise Modestin [28], par exemple, dont on ne sait quasiment rien, si ce n'est cette précision sur sa photo de prison : "Barricadière a fait le coup de fusil". Mais la plus connue des Modestine reste sans conteste celle avec qui Robert Louis Stevenson partage son périple entre les petites villes du Monastier-sur-Gazeille dans le département de la Haute-Loire et Saint-Jean-du-Gard dans la région des Cévennes. Selon le biographe de cette ânesse, "nous ignorons tout de Modestine avant l’irruption d’un Écossais dans sa vie ! Svelte, brun, moustachu, bohème, souffreteux, mais grand marcheur à pas vifs et amoureux de la France, ce calviniste de presque vingt-huit ans, bientôt célèbre écrivain, est venu arpenter les Cévennes pour découvrir le pays des camisards, éprouver son corps, oublier un amour déçu, méditer sa condition. Leur rencontre a lieu le 18 septembre 1878 au marché du Monastier en Haute-Loire." [29] Elle est décrite comme "une ânesse minuscule, pas beaucoup plus haute qu'un chien, à la robe couleur de souris, l'œil doux et la mâchoire inférieure très prononcée. Elle avait en elle quelque chose de gentil, de distingué, une simplicité élégante qui plurent tout de suite à Stevenson quand il la vit sur la place du marché." [30] Pour cela, il décide alors de l'appeler Modestine. Achetée quelques dizaines de francs à son propriétaire, elle porte pendant 12 jours le nécessaire de survie du futur auteur de L'Île au trésor et de L'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde. Bien qu'illes apprennent à se connaître et s'apprécier au long de ce voyage, les relations entre l'hominine et l'ânesse ne sont pas faciles. Stevenson les décrit dans son Voyage avec un âne dans les Cévennes, paru en 1879 [31]. Ayant fait le choix de ne dessiner que les paysages, nous ne disposons pas de représentation de Modestine. Selon Éric Baratay dans "Modestine, voyage avec un Stevenson dans les Cévennes (1878)", elle est "d’un âge méconnu ou tu. Elle semble [...] appartenir [...] à la population asine de l’époque au centre de la France : une taille de 65 centimètres à un mètre au garrot, une tête plus grosse en proportion que le corps, une robe grise [et] parfois une raie cruciale sur le dos." [29]



fausse modestie faire le fier

Sur les simples

Notes

  1. Alors que modeste est un adjectif épicène en français, en nissard modèst est le masculin et modèsta le féminin
  2. L'invasion de l'Angleterre par Guillaume de Normandie dans la seconde moitié du XIème siècle bouleverse les pratiques linguistiques sur l'île. Les hominines qui y vivent parlent des langues celtiques ou germaniques, et la nouvelle aristocratie qui s'installe pratique un "français" de Normandie. Cet anglo-normand se mêle au "vieil anglais" pour constituer le "moyen anglais" entre le XIIème et la fin du XVème siècle. Le vocabulaire d'origine anglo-normande ou française représente un énorme pourcentage de la langue anglaise actuelle. Sur les liens entre langues française et anglaise, voir Henriette Walter, Honni soit qui mal y pense, Robert Laffont, 2011
  3. 3,0 et 3,1 Johnny English, réalisé en 2003 par Peter Howitt. Bande-annonce en ligne
  4. Pierre Vandrepote, Max Stirner chez les Indiens, Éditions du Rocher, 1994. Citation glanée dans le pot-pourrien d'Adrien Neir, Autoportrait d’un inconnu à partir de rien écrit par d’autres, inédit.
  5. modique
  6. modicité
  7. grosso modo
  8. moduler
  9. modifier
  10. méditer
  11. illes
  12. modesteté
  13. JC
  14. La terminologie "ancien français" n'est pas une langue unique mais regroupe les langues romanes de la famille des langues d'oïl parlées entre les VIIIème et XIVème siècles dans la moitié nord du territoire français actuel, dans le sud de la Belgique actuelle et dans le Jura suisse romand. Elles sont issues de la fragmentation de l'ère linguistique latine dans ces régions, influencées par les langues germaniques et celtiques.
  15. "Amodester" dans Dictionnaire de l'ancienne langue française..., tome cinquième , 1888 - En ligne
  16. "Modérance" dans Dictionnaire de l'ancienne langue française..., tome cinquième , 1888 - En ligne
  17. "Amodérance" dans Dictionnaire de l'ancienne langue française..., tome cinquième , 1888 - En ligne
  18. Voltaire, Les originaux, Acte II, Scène X - En ligne
  19. Keud' à treuf
  20. hominines
  21. L'historien Gérémy Crédeville a montré qu'il en est de même dans le nord de la France avec son étude Parfait & modeste - En ligne
  22. "La môme Néant" dans Jean Tardieu, Monsieur Monsieur. Cité à l'entrée "riz +hun" dans F. Merdjanov, Analectes de rien, 2017
  23. épicène
  24. Jules Quicherat, Histoire du costume en France depuis les temps les plus reculés jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, 1875 - En ligne
  25. TLFI
  26. Modeste Testas
  27. Honoré de Balzac, Modeste Mignon, 1844 - En ligne
  28. Louise Modestin
  29. 29,0 et 29,1 Éric Baratay, "Modestine, voyage avec un Stevenson dans les Cévennes (1878)", Biographies animales. Des vies retrouvées, Le Seuil, 2017
  30. "Voyage à travers les Cévennes avec un âne", adaptation française par A. Moulharac dans Mémoires du Club Cévenol, tome I, n°3, 1901 - En ligne.
  31. Robert Louis Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cévennes, 1879