Dodeldirer
Dodeldirer. Verbe pour le cri du coq de bruyère, le Grand Tétras.
ÉtymologiesTrès peu usité, le mot dodeldirer est d'une étymologie incertaine. Il se compose de dodel et de ce qui semble être une forme verbale du verbe dire. dodelLes seuls mots de la langue française actuelle à se baser sur l'étymon dodel sont dodeliner [1], dodelinant et dodelinement. Tous trois exprimant un léger balancement. Même s'il est possible d'en parler pour tout le corps, dodeliner est souvent utilisé dans l'expression "dodeliner de la tête". Le radical dod se retrouve dans dodiner qui a le sens de "balancer" ou de "bercer" [2]. Selon moult étymologistes, dod est d'origine onomatopéique et reproduit le bruit d'un balancement ! Idem pour dad et dand qui constituent par exemple les mots dadais et dandiner. L'un désigne l'hominine [3] se balançant légèrement dans une attitude désinvolte, l'autre est une manière de marcher en balançant les hanches. Un dandin est autant une cloche qu'une autre forme de dadais. Outre le français officiel des dictionnaires et de l'Académie, les pratiques linguistiques dites "régionales" conservent de nombreux mots basés sur ces différentes racines et qui évoquent un balancement ou un mouvement doux [4]. Le mot du vocabulaire enfantin dodo est peut-être lié à la racine dod, en rapport à l'endormissement de l'hominine enfant par bercement [5]. Au XIVème siècle après JCⒸ [6], dod évoque, au sens figuré, le fait d'être choyé. Ainsi (se) dodiner c'est prendre soin de soi ou de l'autre, et être dodu une marque de bonne vie. Les formes utilisées dans les textes moyenâgeux sont déjà des déclinaisons du mouvement de balancier. Une dode est une gifle, un soufflet. Et dodiminer signifie "caresser". La plus ancienne mention connue de dodel est datée de la seconde moitié du XIIIème siècle dans le texte Hugo de Lincolnia [7]. Rédigé en anglo-normand, il relate les persécutions en 1255 contre des moïsiens [8] de la ville anglaise de Lincoln, injustement accusés du meurtre rituel [9] de Hugues, un très jeune hominine christien. Le sens exact du mot n'est pas aisé à déterminer. Il y a une possible confusion entre les verbes ouïr, "entendre", et œiller, "regarder", dans "Ore oez le grant dodel del enfant". Faut-il entendre ou voir le grand dodel que fait l'enfant après sa crucifixion ? Le Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du 9e au 15e siècle propose de traduire dodel par plainte ou cri, tout en émettant des réserves sur cette traduction [10]. Hugues est-il en train de gémir doucement ou de hurler de douleur d'être crucifié vivant ? Ou plutôt gesticule-t-il dans tous les sens ou tremble-t-il doucement ? Durant ces siècles, les variations de prononciation et de notation sont grandes dans l'espace linguistique de la moitié nord de l'actuelle France. La racine dod côtoie dad, dod, dand ou dond. Forme que l'on retrouve dans dondon, utilisé dans l'expression "être une dondon" pour parler d'une hominine femelle qui a de l'embonpoint, ou dans l'adjectif dondé pour qualifier une chose grasse ou replète. Ce dernier est aujourd'hui inusité. Hormis les quelques sens figurés, la racine dod semble se rapporter systématiquement à un mouvement. Le nom dodel est-il construit à partir de la racine à laquelle est ajouté le suffixe -el qui, en français, indique ce qui est relatif à quelque-chose ? Comme par exemple, individuel, existentiel ou excrémentiel. Au côté de ce qui sera par la suite appelé "ancien français" [11], de nombreuses autres pratiques linguistiques existent alors dans les régions du royaume de France. L'invasion de l'Angleterre par Guillaume de Normandie dans la seconde moitié du XIème siècle bouleverse les pratiques linguistiques sur l'île. Les hominines qui y vivent parlent des langues celtiques ou germaniques, et la nouvelle aristocratie qui s'installe pratique un "français" de Normandie. L'anglo-normand prend forme. Au fil des siècles, il se mêle au "vieil anglais"[12] pour constituer le "moyen anglais" entre le XIIème et la fin du XVème siècle. Le vocabulaire d'origine anglo-normande ou française représente un énorme pourcentage de la langue anglaise qui se standardise [13]. Le mélange entre l'anglo-normand et le vieil-anglais alimente la langue de racines multiples. Des mots se forgent à partir de dod, dad, dand et dond. Le verbe dandle signifie "se dandiner", "trépigner sur place". Le moyen-anglais daderen, signifiant "secouer", devient dadder puis dodder au début du XVIIème siècle, en conservant le même sens. A dictionarie of the French and English tongues [14], édité en 1611, traduit dodeliner par to dandle. Il liste les mots suivants : dodeliné(e), dodelinement, dodeliner, dodelineur, dodelineux, dodelineuse, dodine [15], dodiner, dodineux, dodo et dodu . Et aussi dandiner et un dandin, qui désigne une personne hésitante. Dodel est mentionné dans les dictionnaires de moyen-anglais et l'anglais du milieu du XVIIème utilise doddle pour "secouer la tête"[16]. Le scots[17], une langue germanique du sud de l’Écosse, proche de l'anglais mais moins influencée par l'anglo-normand, emploie doodle dans le sens de "bercer"[18]. Une variante de doddle se retrouve dans l'expression anglaise "Cock-a-doodle-doo !" qui se traduit en français par "Cocorico !", le chant du coq. Dans cette langue, le coq fermier coquerique[19], coquericote [20] ou coqueline et le coq de bruyère dodeldire, alors qu'en anglais, "cock-a-doodle-doo" s'applique aux deux espèces. Elle est attestée dès la seconde moitié du XVIème siècle. Si cocorico est souvent qualifié d'onomatopée, l'expression anglaise semble être composée de mots distincts. Elle peut se traduire par "coq-fait-un-dodel" ! Le cocorico reproduit très approximativement la sonorité du cri du coq et le "cock-a-doodle-doo" décrit une gestuelle particulière. L'observation du coq de bruyère montre en effet qu'il secoue la tête de manière singulière lorsqu'il pousse son cri [21], là où le coq fermier se contente de tendre le cou pour chanter à gorge déployée. Comme pour cocorico, il est toujours possible d'écouter en boucle des enregistrements d'un chant jusqu'à se persuader qu'il produit un sonorité proche de cock-a-doodle-doo ! Pourtant, cette expression ne semble pas être une onomatopée. La plupart des langues germaniques possèdent des variantes de dodel, avec des sens figurés autour du mouvement, du balancement. Le "moyen bas-allemand" [22] utilise dändeln puis tändeln pour "calîner". Le "moyen néerlandais" [23] emploie dantinnen pour "se jouer de quelqu'un" ou danten pour "bavardages". Ces significations liées au mensonge se retrouvent dans différentes variations autour de dod et de dand dans l'ancien français et l'anglo-normand. Dodin signifie "trompeur" et un dando est un "mari trompé". Les pratiques linguistiques régionales en France conservent, par exemple, endodiner ou endodeliner pour "se jouer de quelqu'un". Le glissement entre le doux balancement qui berce et le mensonge est présent dans l'expression "Se faire endormir". À deux doigts (ou deux lettres) de se faire embobiner ! Dans la moitié sud de la France et dans l'ensemble des langues latines d'Europe, la racine unda est présente sous différentes formes avec le sens de "vague", "onde". Du roumain undă au corse onda en passant par le portugais onda ou le dalmate jonda. Dans certaines langues avec le sens de mer ou de eau. Le français actuel conserve dans ce sens des mots tel que ondée [24], ondin, ondine [25] et ondinisme [26]. L'origine de cette racine est à chercher dans le latin. Entre l'essor de l'empire romain et son effondrement, le latin se diffuse dans toutes les régions de l'empire. Il s'entremêle aux pratiques linguistiques des régions conquises. Il rencontre des langues dites celtiques, germaniques ou slaves. Ce "latin populaire" n'a pas de forme écrite précise, ni de prononciation unique généralisée. Les mélanges ne suivent pas des processus identiques, et donnent lieu à partir du IXème siècle à l'apparition de langues littéraires qui supplantent la pratique du latin. Les sonorités se sont transformées dans ce que les linguistes appellent nasalisation, palatalisation, labialisation, etc. En bref, les mutations entre, par exemple, les sons "ch" et "ke", entre "t" et "d", entre "u" et "ou", entre "on" et "en". Tout comme le français dodeliner, l'italien utilise dondolare [27] dans un sens identique. Les étymologistes de l'italien proposent la plupart du temps une construction basée sur le latin deundulare, de unda qui signifie "eau". De-undulare renvoie au fait de "bouger comme de l'eau", onduler en français.
Remonter plus loin dans le temps devient plus problématique. D'où vient cette racine latine ? Les linguistes divergent sur les possibilités et les hypothèses à retenir. L'absence de toute source écrite les contraint à tenter de reconstruire des racines, voire des langues, en se basant sur des processus phonologiques. Ainsi, illes inventent des langues du passé lointain. De fait, les biais idéologiques ont une grande place dans la mise en place de ces recherches linguistiques, comme le montre très bien les débats autour des études indo-européennes[29]. Ces dernières établissent des schémas linguistiques qui supposent l'existence d'une source unique et ancienne, une proto-langue dont sont issues toutes les langues actuelles en Europe, et qui à ses origines dans le nord du sous-continent indien. Des schémas simples, voire simplistes ou mécanistes, qui réifient les processus linguistiques au détriment des variabilités, des innovations et des emprunts de proximité. Pour ce faire, des listes de racines indo-européennes sont établies. Généralement, l'étymologie proposée est précédée d'une astérisque (*) pour marquer le caractère reconstitué. Ainsi, le unda latin provient d'un proto-latin *udor que l'on retrouve dans l'ombrien utur, "eau". À rapprocher du grec ancien ὕδωρ (prononcer "idor"), que l'on retrouve sous la forme hydro en français et issu de la racine indo-européenne *wódr̥. Cette dernière est présente dans les langues germaniques, comme par exemple, l'anglais water, ou dans le proto-slave *voda qui forme вода, l'eau en macédonien, ou la fameuse vodka, l'eau-de-vie. Selon les études indo-européennes, *wódr̥ vient du proto-indo-européen *ud-né-s qui est à relier avec le sanskrit उदन् (prononcer "udan"), "eau" ou "vague". Entre les plateaux iraniens et le sous-continent indien, plus de dix siècles avant JCⒸ, le sanskrit [30] a joué le même rôle que le latin en Europe des siècles plus tard. Il a profondément marqué les langues qui naissent et se différencient dans sa zone d'influence. Des dérivés sont présent dans de multiples langues avec le sens de "eau". Du sud de l'Inde avec le télougou ఉదకము (prononcer "udakamu"), en passant par les plateaux afghans et le gandhari 𐨀𐨂𐨡𐨒 (prononcer "udaga") ou اودُر (prononcer "odur") dans les confins cachemiriens [31]. Pour ce qui est de l'origine de la racine sanskrite, la question ne peut être abordée sans verser dans l'illusion [32].
direrContrairement aux apparences, cette partie du mot dodeldirer n'est pas si simple à analyser. Ce dernier étant un verbe, il semble se conformer à un infinitif en -er. Un verbe du premier groupe. Dans le Dictionnaire analogique de la langue française, publié en 1862, il est indiqué que dodel est le terme pour désigner le cri du coq de bruyère, et que dodeldir est utilisé pour l'action de crier ce dodel [34]. Avec cet infinitif en -ir, il a toutes les apparences d'un verbe du second groupe alors qu'en français, le verbe dire est du troisième groupe. Il précise que l'emploi de ce mot est du registre du "français populaire" ! Ainsi, selon lui, le coq de bruyère ne dodeldire pas mais il dodeldit.
Il y a deux possibilités d'étymologie pour le suffixe direr qui peut se décomposer en dire plus un infinitif en -er. Dans un cas, dire est un verbe issu du latin dicere qui signifie "parler", "exprimer", dans l'autre il est un adjectif à rapprocher du latin dirus, "effrayant" [36]. Orthographiée dire, cette racine est présente dans le moyen-français [37] et dans l'anglais du XVIème siècle [38] avec des sens similaires se rapportant au fait de faire peur, de paraître sinistre. Dirus provient du proto-latin *deiros, lui-même issu de la racine proto-indo-européenne *dwey, "peur". Cette dernière donne aussi δεινός (prononcer "deinos") en grec ancien dont le français a hérité dans le mot dinosaure [39], littéralement "effrayant lézard". Avec une telle étymologie, le composé dodel-dire décrit un mouvement impressionnant, des secousses "effrayantes". Cela peut correspondre à une description du comportement du coq de bruyère lorsqu'il pousse son cri. En effet, en plus d’émettre des sons bien particuliers, le coq gesticule son cou et sa tête dans tous les sens. De manière assez surprenante. Pour les hominines, il est probable que la gestuelle et les sonorités puissent paraître étranges, et peut-être les renvoyer à des imaginaires collectifs effrayants. Le coq de bruyère est le plus gros des gallinacés, la famille du vivant qui regroupe les cailles, les dindes, les faisans, les poules et les pintades. "D’un naturel discret et très farouche, le Grand tétras se révèle très bruyant pendant la période des amours au printemps. Son comportement est alors spectaculaire. Les plumes de la queue redressées et déployées en demi-lune, les coqs se regroupent sur une arène où ils paradent pour attirer les femelles"[40]. Selon une description de leur chant, il se compose de "séries de "te-lep" rapides, environ six ou sept secondes, accéléré à la fin, puis "pokfok" semblable à un bruit de bouchon et "djedzje", bruit semblable à un bruit de scie répété trois ou quatre fois." [41] Lors de la période de reproduction, le coq mâle s'en donne à cœur joie. Entrecoupé par des duels avec des concurrents, il danse [42]. Le nom savant de Grand Tétras pour le coq de bruyère est issu du grec ancien τετράων (prononcer "tétras") qui désigne déjà cette espèce gallinacée [43]. En latin, tetrax désigne les faisans. La linguistique comparée lie la racine grecque au sanskrit tittirâh qui a le sens de "faisan". Des dérivés de ce mot sont présents dans des langues aussi éloignées géographiquement que les langues slaves, dont le macédonien тетреб (prononcer "tetreb"), et les langues iraniennes. Dans son Histoire naturelle des oiseaux paru en 1772, le naturaliste Georges-Louis Buffon indique que le Grand tétras est aussi appelé faisan bruyant[44]. Une réputation qui n'est pas nouvelle. Dans Histoire naturelle générale des pigeons et des gallinacés, paru en 1815, le zoologiste Coenraad Jacob Temminck tente une explication de dodeldirer qu'il pense être d'origine onomatopéique. "Lorsque le tétras commence son singulier chant, il exprime à plusieurs reprises la syllabe dod, qu'il change en un son plus éclatant qu'on peut rendre par dodel, dodel dodelder, répété dix à douze fois avec une vitesse et une force étonnante" [45]. L'omniprésence de la sonorité particulière du dodel oriente vers l'hypothèse du verbe dire, "exprimer". Ainsi, un mot composé de dodel et de dire exprime non pas le fait de pousser son cri en gesticulant mais que la gestuelle et le sonorité sont indissociablement liées. La langue française comporte déjà quelques mots composés avec dire en suffixe, tel médire, maudire ou contredire par exemple. Héritier du latin dicere, l’infinitif dire est attesté dans les premières décennies du XIème siècle [46]. Sa conjugaison s'est normalisée progressivement [47] et sa signification n'a pas réellement évoluée depuis. Impossible de confirmer que la forme nominative du cri du coq ait existé. Un ou une dodeldire ? Ou que le mot soit passé par une forme composée à l'aide du tiret, comme ouï-dire. Dans le courant du XIXème et le début du XXème siècle, dodeldire est employé comme un verbe qui se conjugue sur le modèle de dire. Le tétras dodeldit. Selon les sources consultées, l'infinitif s'écrit dodeldire ou dodeldir. La forme actuelle dodeldirer semble être plus récente. Elle peut peut-être s'expliquer par le dépeuplement accru des zones rurales en France qui s'accélère dans la seconde moitié du XXème siècle, et par un phénomène de réappropriation récente de savoirs anciens ou disparus. En ce début de XXIème siècle, le cock-a-doodle-do anglais est, en français, un dodeldirement. Usages
Les dodeldirements sont de plus en plus rares du fait de la disparition progressive du Grand tétras. Son habitat naturel est les forêts de conifères de montagne au climat froid. Différentes espèces existent dans toute la partie nord du continent eurasiatique, de la Scandinavie aux grands espaces sibériens. Dans l'ouest européen, la population de Grands tétras est encore présente dans les Pyrénées et le Jura, avec respectivement 6000 et 300 individus [49]. De plus petites populations existent dans les Cévennes et les Vosges. L'espèce a disparu dans le courant du XVIIIème siècle en Irlande et en Écosse, mais fut réintroduite dans cette dernière dans le milieu du siècle suivant. Aujourd'hui, les autorités françaises tentent de concilier un statut d'espèce protégée avec une pratique encadrée de la chasse [50], de façon bien plus légère qu'elles le firent en 1995 avec les appels au sacrifice de poulets par Minister AMER. Le spécisme est structurel [51].
Hormis les coqs eux-mêmes qui dodeldirent, l'emploi du verbe dodeldirer est en voie d'extinction. Les seules populations d'hominines à encore utiliser le mot sont celles qui les chassent pour les tuer, celles qui les observent pour les étudier et celles qui en font le décompte pour les préserver. Leurs façons de prononcer dodeldirer ne sont pas identiques et diffèrent selon les régions. Selon les deux exemples ci-dessous, à Paris, il se dit \dɔ.dəl.di.ʁe\ où "del" se prononce "deul", et \dɔ.dɛl.di.ʁe\ à Lyon où il se prononce "dél". Cette prononciation parisienne en \dəl\ est proche de celle de l'anglais doodle. Toutes ces nuances ne sont probablement pas perçues par les Grands tétras pour qui tout cela ne veut sans doute rien dire.
La conjugaison de dodeldirer est celle d'un verbe du premier groupe, infinitif en -er. Il se conjugue à tous les temps de l'indicatif, du subjonctif, du conditionnel et de l'impératif comme n'importe quel autre verbe du même groupe. Tel chier ou prier. Sa particularité est qu'il a trois niveaux d'usage. Le plus courant est celui où des hominines parlent entre elleux de tétras. Dans ce cas, seules les troisièmes personnes du singulier et du pluriel existent ; il, elle, on, ils et elles. Dans le deuxième niveau, les hominines s'adressent à des tétras et enrichissent la conjugaison de la deuxième personne du singulier et du pluriel, tu et vous. Le troisième niveau d'usage est d'un ressort particulier. De fait, "Je dodeldire" ou "Nous dodeldirons" ne peuvent exister car les coqs de bruyère n'ont pas de langage articulé et disposent de leur propre langage de communication. Très rare, cette forme peut néanmoins se rencontrer chez les hominines dans la poésie, la littérature, des troubles psychologiques, des excès d'alcool ou de drogues. Catégories parfois poreuses les unes aux autres.
Pour les hominines qui s'accrochent à un passé révolu, les fanatiques qui veulent y retourner et les octogénaires qui ont connu l'orthographe dodeldire à l'infinitif, la protivophilie propose un tableau de traduction rapide. Il est basé sur la conjugaison du verbe du troisième groupe, dire. Il n'y a aucune difficulté majeure, si ce n'est la confusion possible entre la première personne du singulier de l'imparfait de dodeldirer et du futur de dodeldire, entre la deuxième personne du singulier du passé de l'un et du futur de l'autre, ainsi qu'entre la deuxième personne du pluriel du présent de dodeldirer et du futur de dodeldire.
Dodeldirer s'emploie avec l'auxiliaire avoir pour les temps composés de l'indicatif et du subjonctif. Ainsi, la deuxième personne du singulier du passé antérieur est "tu eus dodeldiré" et la deuxième personne du pluriel de l'imparfait du subjonctif est "que vous eussiez dodeldiré". En français, l'emploi de cet auxiliaire rend invisible le genre du sujet car il n'y a alors ni accord de genre, ni de nombre. Mais au-delà de cette simple obligation grammaticale, le verbe dodeldirer invisibilise la tétras femelle. Son étymologie montre clairement qu'il renvoie au cri du tétras mâle et non à celui de la femelle qui est tout autre, mais il s'emploie de manière indifférenciée pour l'un et l'autre. Contrairement à l'évidence qu'une écoute peut faire saisir rapidement, la tétras femelle dodeldire ! Il n'y a pas de verbe spécifique pour le cri de cette dernière. La problématique est la même en ce qui concerne le nom même du Grand tétras et les descriptions ornithologiques qui l'accompagnent. Le nom classique de Coq de bruyère sous-entend que l'espèce comporte évidemment un mâle, le coq, et sous-entendu une femelle, la poule. Mais pas question de parler de Poule de bruyère, avec une femelle et un mâle ! La question n'est pas anecdotique. Si l'on se fie à la présentation faite par le Parc national des Pyrénées, "le Grand tétras, appelé aussi Coq de bruyère, se caractérise par un bec fort et par une caroncule rouge vif (excroissance charnue comme celle qui pend à la base du bec des dindons), très visible au-dessus de l’œil. Son dos est noir, ses ailes brunes avec une tache blanche, le poitrail d’un vert bleu brillant. Sa queue, qui s’arrondit comme celle d’un dindon lors de la parade, est constituée de grandes plumes noires parsemées de taches blanches. Il pèse entre 2,5 kg et 5 kg pour les mâles. Son envergure peut aller jusqu’à 130 cm." Et rien sur la poule, alors que le dimorphisme est important entre mâle et femelle. Inverser cette définition de l'espèce en se basant sur une description de la femelle tétras donnerait tout autre chose. Son dos et ses ailes sont marrons, barrés de noir et de blanc, sa poitrine est rousse. Son ventre et ses flancs sont blancs, tachetés de roux et de noir, alors que sa queue rousse est barrée de noir. Le bec est gris et ses caroncules rouges sont peu visibles. Elle pèse entre 1,5 et 2,5 kg avec une envergure d'environ 70 centimètres. Le qualificatif de "grand" utilisé pour cette espèce — afin de la différencier du tétras lyre ou Petit tétras — ne se justifie plus car la poule de bruyère est sensiblement de même taille que les tétas lyre mâles et femelles. Localement elle est parfois appelée la Rousse, en référence à la couleur dominante de son plumage. Comme toujours, la première concernée n'a pas son mot à dire sur ce sujet. Dans un monde où les discriminations et les oppressions sont multiples et s'entrecroisent, qui s'intéresse à l'avis d'une poule ou d'une femelle ? Rousse de surcroît ! [53] DérivésSi les tétras sont des espèces sauvages, la plupart des poules domestiques actuelles, mâles et femelles, sont issues de la domestication en Asie du coq doré plus de 8000 ans avant le présent. Avec une si ancienne proximité, le coq a une place importante dans l'imaginaire des hominines. Le dimorphisme entre femelle et mâle, et le comportement de ce dernier lors de la période d'accouplement, alimentent tout un pan des pratiques linguistiques liées à la sexualité hétérosexuelle. Généralement, le comportement du mâle est une démonstration chorégraphiée de sa beauté et de sa puissance. Il parade. En se mettant ainsi en scène, il doit donner envie de transmettre son patrimoine génétique. Et pour cela, il est prêt à affronter ses adversaires. Pour féconder la femelle, le mâle se couche sur elle, sur son dos. Afin de désigner cet acte, la langue française dispose du verbe côcher, "couvrir" [54]. Le lien avec la sexualité est présent en français dans le verbe coquer [55] qui signifie "avoir des rapports sexuels". L'expression "Faire le coq" peut-être employée dans deux sens différents. Dans le premier, elle exprime une attitude de défi, d'arrogance et de montée agressive de testostérone. Les combats de coq organisés par les hominines en sont la triste démonstration [56]. Dans le second, elle décrit une façon de parader chez les hominines mâles à la recherche de reconnaissance sociale ou de partenaires pour des activités sexuelles. Cela peut être par la parole, les attitudes ou l'aspect vestimentaire, par exemple. Le sens sexuel ou de simple séduction sont présents dans coqueliner [57] et son synonyme dodeliner. Alors même que le coq n'a pas de pénis pour se reproduire, les étymologistes de la langue anglaise affirment que cock [58], "pénis", est en référence au gallinacé mâle. Pour son cou long et gigotant qui évoque symboliquement un pénis vigoureux et frémissant ? [59] Avec l'extinction à venir des Grands tétras, mâles comme femelles, le verbe dodeldirer est amené à disparaître aussi. Soucieuse de préserver ce qui sert à rien, la protivophilie propose une nouvelle définition afin de conduire à une utilisation pérenne. Contribution majeure des Post-Nothing Studies, il peut s'incorporer au corpus d'analyse des études de genre pour décrire avec plus de précision les comportements des hominines mâles vis-à-vis des femelles dans des contextes de ruralité ou de péri-urbanité, où les réalités sociales ne sont pas identiques à celles des grandes métropoles. Soit pour désigner ses habitudes sociales dans les jeux de séduction. Doldeldirer est alors synonyme de draguer. Soit pour décrire des attitudes masculinistes ou misogynes de la part d'hominines mâles à l'encontre de leur égale femelle. Dans ce cas, dodeldirer prend le sens de harceler. Pour éviter toute confusion qui pourrait laisser pendre un "Non" pour un "Oui", la protivophilie préconise de conserver dodiner ou dodeliner pour désigner la séduction et d'utiliser dodeldirer exclusivement pour les actes et les paroles des hominines mâles qui cherchent à s'imposer à leurs congénères femelles. En contexte rural et périurbain. "Faire le coq" de bruyère, en quelque sorte. La protivophilie propose la première tentative de lexique bilingue à destination des hominines mâles urbains en goguette dans les campagnes :
Il est possible de l'adapter aux formes du pluriel des pronoms personnels, vous et ils. Et dans des circonstances particulières — et plus rares — l'emploi des pronoms féminins elle et elles est autorisé. La conjugaison se fait à tous les temps sur le modèle de dodeldirer. DérivesMatière première de la protivophilie, les dodelinements de F. Merdjanov sont mystérieux. De quoi se composent-ils ? Se résument-ils uniquement à son anthologie de rien, publiée en 2017 sous le titre Analectes de rien[60] ? Elle n'est assurément rien d'autre qu'un pillage assumé, un butinage de textes d'hominines. Simple dodelinage entre des riens. Dans le large lexique francophone, passé et actuel, il existe des termes qui rendent très bien compte d'une telle attitude. Pour rester dans les dérivés de dod, son œuvre peut être qualifiée de redondante [61] pour ses répétitions qui servent à rien et sa démarche s'apparente à une dandine pour sa niaiserie. Ce que résument très bien les philosophes aux concepts alambiqués par dodo. Les autres la trouvent dodue, pleine de ces petits riens qui emplissent l'existant. Sans tentative d‘endodiner quiconque en l'embobinant par les mots. Si l'on en croit la définition "Se reposer, ne rien faire", il est possible d'affirmer que F. Merdjanov se dodine. Plusieurs solutions à cela pour qui vit "en apiculture sur les rives de la mer Noire" [62]. Se laisser flâner et errer avec une allure dodine autour de ruches horizontales ou opter pour une petite sieste à proximité [63]. Dodailler [64] est toujours un plaisir. Notes
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