Catherine Ségurane

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Ségurane Catherine (Catarina Segurana en nissard, Catænn-a Segurann-a en ligure, Екатерина Сегуране en macédonien). Nom d’une rue de Nice


Biographie

Catherine Ségurane est née dans le premier quart du XVIème siècle dans la ville de Nice[1]. La date exacte est inconnue. Elle est, selon certains, fille de pêcheur, selon d’autres, "de parents obscurs, vivant de leur travail"[2]. Fille du peuple, elle exerce le métier de lavandière[3]bugaderia[4] en nissard. Son surnom de maufaccia, "laide", "difforme" en nissard, ne doit rien laisser présupposer sur son apparence physique.

Siège de Nice

L’alliance entre, d’une part, le roi du Royaume de France, François Ier, et le sultan ottoman Soliman le Magnifique, et d’autre part, l’empire de Charles Quint et le roi d’Angleterre Henri VIII, relance l’opposition guerrière pour la domination de territoires. Entre 1542 et 1546, des combats et tentatives d’invasions se déroulent dans différentes régions de ces empires concurrents.

Lavandières au Paillon
François Ier tente d’étendre son territoire dans le nord de l’Italie actuelle. Le prétexte au déclenchement de la guerre est l’ajout de nouvelles fortifications à Nice par Charles Quint. Après d’infructueuses tentatives d’infiltration dans la ville, la coalition franco-ottomane envoie une centaine de bateaux en août 1543 dans la rade de Nice, assurée du soutien de quelques villages de l’arrière-pays. Arrivés le 5 août les attaquants proposent une reddition, rejetée par les autorités politiques de Nice. La ville d’alors, entourée par une muraille de défense et des tours de garde, correspond approximativement à la colline du château et le quartier du vieux-Nice. Profitant que les habitants soient retranchés à l’intérieur des murs après quelques combats, les franco-ottomans installent quatre batteries de canons autour de la ville et commencent à bombarder le 15. Les troupes franco-ottomanes attaquent par la porte Pairolière (vers la place Garibaldi). Les combats directs contraignent la population à se réfugier dans les murailles de la colline. Parmi elle, Catherine Ségurane. Alors qu’un soldat ottoman parvient à accrocher son drapeau en haut de la tour, Catherine Ségurane, en poussant des "cris sauvages" et armée de son battoir de lavandière, se jette sur lui et le frappe violemment. Les sources divergent quant à savoir s’il fut simplement assommé ou tué par ce coup sur le crane. Elle s’empare du drapeau et le déchire. Même s’il y a encore discussion pudique entre les spécialistes de son intimité, il semble que Catherine Ségurane ait ensuite montré son cul aux assaillant et se serait essuyée avec le drapeau. Haranguant la foule, elle abat plusieurs assaillants avec son battoir et incite la population réfugiée dans les remparts à résister. Alors que la ville est ravagée par les franco-ottomans, la colline parvient à repousser les différents assauts. L’approche le 8 septembre de renforts envoyés par le duc de Savoie fait fuir les troupes assaillantes. Après le pillage et l’incendie d’une partie de la ville, le siège est levé le 9. La flotte ottomane stationne au large de Nice jusqu’en mai 1544.

Nous ne savons rien de plus sur Catherine Ségurane

Séguraniens ?

Le peu de choses connues sur Catherine Ségurane ne sont pas très fiables. Les historiens ne peuvent affirmer s’il s’agit d’un personnage réel ou mythique. Il n’existe pas de témoignages directs et la première source à la mentionner date de 1608. Les quelques récits de l’époque ne parlent pas d’elle. Les archives qui n’ont pas été détruites en 1793 ne permettent pas d’en savoir plus. Partisan de sa réalité, Henri Sappia défend en 1901 que les femmes étaient très présentes et actives lors du siège de Nice[5] mais que l’invisibilité sociale faîte aux femmes les fait disparaître de l’écriture historique de ce fait. Et que plus généralement, l’écriture de l’Histoire ne retient que les noms des personnalités de pouvoir et oublie toutes celles (et ceux) qui appartiennent aux classes sociales subalternes et qui pourtant constituent le grand nombre de participants. Leurs postérités mythiques sont bien plus compliquées mais parfois l’oralité populaire parvient à sauver un pan de mémoire et mythifie elle-même quelques « personnalités » issues du peuple. Parfois les deux phénomènes sont concomitants. La geste de Catherine Ségurane devient un symbole populaire tout autant qu’elle est récupérée par les autorités politiques ou religieuses.

Quelques décennies après le siège de Nice, un buste en son honneur est érigé près de la porte Pairolière avec les mentions "1543 Catarina Segurana Dicta Donna Maufaccia" et "Nicaena amazon irruentibus Turcis occurit Ereptoque vexillo Triumphum meruit 1543". Elle devient un symbole de la lutte contre l’annexion à la France, l’incarnation d’une légitimité divine ou l’égérie d’une forme de résistance populaire. La protivophilie postule que son image ait pu aussi servir de déclencheur pour les macédoniens de Prilep lors de leur première révolte contre l'Empire ottoman en 1564.

Montfort et Ségurane au siège de Nice ou Le triomphe des femmes (1876)
Le XIXème siècle est fécond dans la production d’œuvres littéraires[6], picturales, poétiques, sculpturales, théâtrales et parolières sur le personnage de Catherine Ségurane. Le premier buste disparu, il est décidé en 1803 de construire un monument sur la Place Saleya montrant "Catherine Ségurane, le bras levé, terrassant l'Osmanli"[7] mais il se dégrade rapidement. En 1852, le conseil municipal vote pour qu’un nouveau projet soit lancé mais il ne voit pas le jour. Finalement, en 1923, un bas-relief est installé rue Sincaïre dans le Vieux-Nice. Une rue de ce quartier porte son nom.

L’autre composante mythique de l’histoire de Catherine Ségurane est la soit-disant apparition de la Vierge Marie – et son aide – lors de la résistance héroïque de Nice assiégée. Les assaillants auraient du prévoir qu’elle profiterait du jour de sa fête – le 15 août – pour intervenir. S’il avaient patienté quelques jours pour donner l’assaut, elle ne serait pas intervenue et aurait laissé les habitants se faire massacrer ou réduire en esclavage. Plus sérieusement, il est a noté que les historiens peinent encore – malgré les innombrables travaux à ce sujet – à démontrer l’historicité de cette vierge qui aurait enfanté du messie des chrétiens. Il y a plus de probabilité de l’existence de Catherine Ségurane que de celle de la Vierge ! Pour ce qui est de ses apparitions miraculeuses, la protivophile veut bien admettre le phénomène d’illusion collective, mais rien d’autre. En 1552, l’Église catholique fait construire la chapelle Notre-Dame-du-Sincaire en l’honneur de cette aide divine car d’après la récupération religieuse, Catherine Ségurane aurait invoqué cette main de Dieu. Si une histoire de l’athéisme à Nice reste à écrire, il n’est pas inconvenant d’imaginer dès à présent Catherine Ségurane montrant son cul, dans la divine direction, en hurlant "Tu sais où tu peux te la mettre ta main !".

Réelle ou non, Catherine Ségurane fut récupérées de toutes sortes de façons. Quitte à fabriquer un mythe, nous préférons faire de Catherine Ségurane, une femme – lavandière[8] nous va très bien – indépendante et intelligente, dont la détermination et le courage ne sont pas à mettre sur le compte d’une quelconque entité invisible et imaginaire. Peut-être est-elle illettrée ? Cela n’a jamais empêché quiconque de penser et de réfléchir. On peut être illettré et ne pas croire aux balivernes religieuses, et inversement, y croire malgré une certaine culture livresque. Pas besoin d’avoir lu Lucrèce pour comprendre les choses :

Au seuil de la science est assis ce principe : Rien n’est sorti de rien. Rien n’est l’œuvre des dieux.[9]

Il en est de même avec les récupérateurs politiques de tous poils. Les actes individuels ou collectifs ne sont pas souvent motivés par des convictions chimériques ou des espoirs démesurés de lendemains meilleurs mais bien plus par un esprit de révolte spontanée face à des conditions économiques ou sociales jugées, ou devenues, inacceptables. Incorporer une personne ou un fait historique dans la construction d’une idéologie est toujours une forme de malhonnêteté. Heureusement qu’il n’a pas fallu attendre ce rubayat de Fernando Pessoa[10] pour le comprendre :

N’espère rien, car rien excepté rien ne s’obtient par
L’espoir : c’est comme un homme qui lancerait à la route
Des regards faits de cet espoir que quelqu’un vienne à lui
Sous le prétexte que la route est faite pour que l’on y marche.

Séguriens ?

L’étymologie du patronyme segurane est issue du nissard segà et signifie "hacher" ou "faucher". Certaines recherches ont voulu voir dans cette étymologie le signe d’une construction mythologique dans ce qu’elle renvoie à la figure de Jeanne Laisné ou Fourquet dite Jeanne Hachette. En 1472, à l’âge de 16 ans, elle se fait connaître pour sa participation, armée d’une hachette – d’où ce surnom –, à la résistance de la ville de Beauvais et l’émulation qu’elle créa face aux assaillants. D’autres avant nous avaient déjà remarqué ce lien symbolique mais des études protivophiles récentes permettent enfin de décentrer la problématique.

Hacheneolithique.jpg
Une lecture attentive de la version des éditions Gemidzii confirme ce qu’en dis la postface[11], dans Analectes de rien de F. Merdjanov :

La seule illustration présente est une hache – peut-être une référence à cet outil que des révolutionnaires russes du XIXème siècle agitaient symboliquement ou littéralement pour terroriser les tyrans et exalter les exploités qui, contrairement aux premiers, se tuent à la tâche.

En macédonien, le verbe "hacher" se traduit par сека dont l’origine commune avec la racine nissarde segà est quasi-incontestable. Là où la plupart des langues slaves environnantes utilisent le terme de kotlet pour l’action de hacher, le macédonien cultive cette différence qu’il tient peut-être d’un lien spécifique avec l’espace nissardophone. Rappelons que :

Dans des temporalités historiques assez semblables à la communauté russe, les exilés de Macédoine s’installent dans la ville, fuyant des situations politiques féroces. À l’instar de la Genève de la fin du XIXème siècle où les plus radicaux de toutes les tendances révolutionnaires de Russie s’installent pour ourdir faits et gestes, Nice devient le centre politico-illusionniste des exilés macédoniens.[11]

Si cet emprunt – ou coïncidence – linguistique est avéré, il ne prouve pas l’existence d’une langue mixte nissardo-macédonienne mais montre tout au plus l’interaction entre des réfugiés macédoniens de Nice à la fin du XIXème siècle et des révolutionnaires restés sur place. La protivophilie ne prétend pas écrire une nouvelle histoire de Catherine Ségurane et contredire ses défenseurs, les séguraniens, mais veut enrichir l’histoire de l’utilisation de ce formidable outil qu’est la hache, pourfendeuse du vivant, héritière, du néolithique à nos jours, de cette communauté imaginaire que sont les séguriens[12].

Le choix de F. Merdjanov de mettre une hache comme illustration dans Analectes de rien est très ségurien.

Notes

  1. Rémy Gasiglia, "Ségurane, Catherine", in Ralph Schor (dir.), Dictionnaire historique et biographique du comté de Nice, Serre, 2002
  2. Selon Louis Durante, Histoire de Nice, vol. 2, 1792. D’après cette auteur, elle serait née en 1506.
  3. C’est à dire qu’elle est employée pour laver le linge des autres – souvent riches – dans des lavoirs publics ou à la rivière.
  4. Le terme nissard bugaderia est à rapproché du français bugadière qui désigne la structure permettant d’entreposer le linge sale avec de la cendre. Une fois pleine, le linge et la cendre sont mis à bouillir dans de l’eau pour laver.
  5. Henri Sappia, "Catherine Ségurana : Histoire ou légende ?", Nice Historique, août 1901 - En ligne
  6. Par exemple Montfort et Ségurane au siège de Nice ou Le triomphe des femmes (1876) - En ligne
  7. Octave Justice, "Catherine Ségurane", Nice Historique, 1er avril 1901 - En ligne
  8. Pour ceux qui avaient la télévision dans les années 1970, la lavandière la plus connue reste Mère Denis (1893 – 1989)
  9. Cité à l’entrée "devinette" dans F. Merdjanov, Analectes de rien.
  10. Cité à l’entrée "à la manière de" dans F. Merdjanov, Analectes de rien
  11. 11,0 et 11,1 Postface de F. Merdjanov, Analectes de rien - En ligne
  12. Dans son Histoire nihiliste de la hache, l'auteur anonyme rappelle que la Société de la Hache n'est pas seulement le nom d'une boucherie coopérative, enregistrée à la chambre de commerce, mais celui d'un groupe de révolutionnaires constitué autour de Sergueï Netchaiev. Ce groupe est aussi connu sous l'autre nom, moins ségurien, de Vindicte du Peuple. Voir Hans Magnus Enzensberger, Les rêveurs de l'absolu, Allia, 1998.