America Josefina Scarfo

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Scarfo, America Josefina "Fina". (1913 - 2006) Anarchiste italo-argentine.


Biographie

Née dans une famille calabraise catholique immigrée en Argentine, Josefina "Fina" est très tôt en contact avec les idées anarchistes par l'intermédiaire de ses deux frères aînés, Paulino et Alejandro, compagnons de lutte de Severino Di Giovanni. Elle dit d'elle-même[1] :

Je crois que grâce à notre action, individuelle ou collective, nous pourrons arriver à un devenir d'amour, de fraternité et d'égalité. Je veux pour tous ce que je veux pour moi: la liberté d'agir, aimer, penser, etc. Enfin, je désire l'anarchie pour l'humanité toute entière. Je crois que, pour y parvenir, nous devons faire la révolution sociale. Mais je suis également d'opinion que pour arriver à cette révolution, il est nécessaire de se débarrasser de toutes espèces de préjugés, conventionnalisme, fausses morales, codes absurdes. Et en attendant qu'éclate la grande Révolution, c'est une œuvre que nous devons accomplir dans tous les moments de notre existence. Pour que cette Révolution arrive, d'ailleurs, il ne faut pas se contenter de l'attendre, mais la faire par notre action quotidienne. Là où cela nous est possible, il nous faut tâcher d'interpréter le point de vue et conséquemment humain.

Los Ojos de America (2014)
Elle fait la connaissance de Di Giovanni alors qu'il est caché par les deux frères dans un coin de la maison familiale. Alerté par la police, le père le découvre et chasse le trio. En 1927, à l'âge de 14 ans, elle entame une relation amoureuse passionnée avec Severino Di Giovanni, de treize ans son aîné. Sa femme, Teresa Mascullo, et leurs trois enfants sont arrivés avec lui en 1922. Josefina Scarfo décrit la situation dans une lettre envoyée de Buenos Aires à E. Armand[2] le 3 décembre 1928 :

Or cette femme malgré son inconscience relative, sympathisa avec nos idées. Elle a donné dernièrement des preuves du mépris dans lequel elle tient les sicaires de l'ordre bourgeois, à la suite des tracasseries dont mon ami a été l'objet de la part de la police. Donc la femme de mon ami et moi-même sommes devenues des amies. Elle n'ignorait rien de l'amour que ressentait pour moi l'homme qui vivait à ses côtés, le sentiment d'affection fraternelle qui existait entre eux lui permit de se confier à elle ; il la laissait libre d'agir à sa guise, comme il convient à tout anarchiste conscient.

Dans cette lettre, elle raconte un peu de la situation sentimentale de Severino Di Giovanni.

J'ai fait connaissance d'un homme, d'un camarade d'idées. Selon les lois bourgeoises, il est «marié». Il s'unit à une femme, à la suite d'une circonstance puérile, sans amour. À ce moment-là il ne connaissait rien de nos idées. Cependant, il vécut avec cette femme plusieurs années et des enfants naquirent. Tout en cohabitant avec elle, il ne rencontrait pas la satisfaction qu'il aurait voulu trouver chez un être aimé. La vie devenait fastidieuse, le seul lien qui unissait ces deux êtres était les enfants. Encore adolescent, cet homme fit connaissance avec nos idées et se créa une conscience. Il devint un courageux militant: il se consacra avec ardeur, avec amour intelligence, à la propagande. Tout son amour qui n'était à personne il en fit offrande à l'Idéal. Au foyer, cependant, la vie continuait monotone, égayée uniquement par les sourires des petits enfants.

Elle y décrit les critiques faites à leur relation :

[...] on a évoqué la différence d'âge, tout simplement parce que j'ai 16 ans et mon ami en a 26. Les uns m'accusent de poursuivre une opération commerciale, les autres me taxent d'inconscience ! Ah ces pontifes de l'anarchisme ! Faire intervenir dans l'amour la question de l'âge ! Comme s'il ne suffisait pas que le cerveau raisonne pour qu'une personne soit responsable de ses actes. D'ailleurs, c'est mon affaire et si la différence d'âge ne m'importe pas, cela regarde-t-il autrui ? Ce que je chéris et j'aime c'est la jeunesse de l'esprit qui est éternelle.

Et se défend :

Mais voici que certains se sont érigés en juges. Et il ne s'agit pas ici de gens du vulgaire, mais bien de camarades qui s'estiment tout à fait délivrés des préjugés, mais j'en doute. Celui-ci prétend que notre amour est une «folie» ; tel autre prétend que la compagne de mon ami joue le rôle de «martyre», alors qu'elle n'ignore rien de ce qui nous concerne et reste maîtresse de sa personne et jouit de sa liberté, un troisième soulève le ridicule obstacle économique. Je suis indépendante comme l'est mon ami. Selon toutes probabilités, Je me créerai une situation économique personnelle qui m'affranchira de toute inquiétude à ce sujet

Par cette lettre, elle demande l'opinion de E. Armand, connu dans le milieu anarchistes pour ses écrits sur l'amour libre[3]. Le 20 janvier 1929 dans le n° 151 de L'En-Dehors, E. Armand répond ainsi :

Entretien sur la liberté de l’amour

Camarade. Mon opinion importe peu en la matière, dès lors que vous m'assurez savoir ce que vous faites. Êtes-vous en votre for intime d'accord avec votre conception personnelle de la vie anarchiste concernant l'amour ou ne l'êtes-vous pas ? Si oui, insouciez-vous des remarques et des insultes d'autrui et continuez votre chemin. Nul n'a le droit de porter jugement sur votre façon de vous conduire, même alors que la compagne de votre ami serait hostile à vos relations. Toute femme unie à un anarchiste (ou vice-versa) sait qu'elle ne saurait exercer sur lui ou subir de sa part une domination d’ordre quelconque. Quant aux critiques dont vous êtes l'objet, elles ne me surprennent pas. Vous les subiriez ici, si vous étiez en France. La grande majorité de ceux qui se disent anarchistes ont encore à apprendre à ne point faire de différence, au point de vue de son exercice, entre l'amour et les autres manifestations de l'activité individuelle ou collective. Ce qui ne les empêche pas de censurer, de condamner ceux qui pensent autrement qu'eux. Faisons comme s'ils n'existaient pas, aimons à notre guise, associons nos affections, si le cœur nous en dit et moquons-nous de leurs anathèmes. On ne peut pas en vouloir à des gens qui n'ont pas rompu avec le passé… on ne peut que les plaindre, et c'est, en terminant, ce que je vous conseille de faire.

Depuis 1926, la petite bande d'anarchistes enchaîne les attaques à l'explosif contre des intérêts fascistes italiens en Argentine, des cibles américaines en réponse à la mort de Sacco et Vanzetti[4], braquent des banques pour financer la publication de leur journal et de brochures, pour aider les prisonniers ou les faire évader...[5] Si dans cette lettre datée de fin 1928, elle dit qu'elle est encore jeune étudiante, elle laisse imaginer une clandestinité prochaine.

Nous ne vivons pas complètement en commun, étant donné la situation politique de mon ami et le fait que je dois finir mes études.

Alejandro Scarfo se fait arrêter en décembre 1928 alors qu'il tente de poser des explosifs sur les rails de chemin de fer qui devaient voir passer le président américain Herbert Hoover en voyage en Argentine. Officiellement Josefina Scarfo est mariée avec Silvio Astolfi, la relation extra-maritale est cachée de la famille afin de ne pas provoquer une rupture entre la fille et ses parents. Finalement, vue la situation, elle s'éloigne de ses parents. Avec son frère Paulino, Severino Di Giovanni et quelques autres elle participe aux activités du petit groupe d'anarchistes.

Le 30 janvier 1931, la police tente d'arrêter Di Giovanni alors qu'il sort de l'imprimerie où il travaille sur les œuvres complètes d'Elisée Reclus. Un flic est blessé, un autre est tué. Il est finalement blessé puis arrêté en même temps que Paulino et Josefina Scarfo. Braulio Rojas et Juan Márquez meurent sous les balles de la police. Artemio Pieretti réussit à s'échapper grâce à l'aide de Josefina Scarfo. Il y a un mort parmi les flics. Laura, la jeune fille de Di Giovanni est aussi arrêtée, puis relâchée. Severino Di Giovanni est fusillé le lendemain et Paulino Scarfo le jour suivant. Parce que mineure, Josefina est remise en liberté. Après la mort de Severino Di Giovanni, elle quitte son mari. Elle est employée par Salvadora Medina[6], l’amie de Simon Radowitzky[7], qui lui trouve un job dans un journal.

Elle fonde en 1943 avec son nouveau compagnon, l'anarchiste Domingo Landolfi, la maison d'édition Americalee qui publie des textes de Kropotkine, Godwin ou Proudhon par exemple. Elle vit à Buenos Aires.

En 1999, elle obtient des autorités argentines la restitution des lettres d'amour envoyées par S. Di Giovanni depuis sa prison mais interceptées par la police.


Un documentaire intitulé Los Ojos de America (Les yeux d'America), réalisé en 2014 par Daiana Rosenfeld et Aníbal Garisto, retrace sa jeunesse et l'histoire d'amour passionnée. Est-ce l'amorce protivophile d'un documentaire sur Albertine Hottin ? Le peu de connaissance sur le polyglottisme de F. Merdjanov ne nous permet pas d'affirmer que ce documentaire lui soit accessible. Il faut être hispanophone et nous ne savons rien d'une hypothétique version sous-titrée en français ou en macédonien, pas plus que de l'état de la diffusion des documentaires latino-américains sur les bords de la mer Noire.

Notes

  1. Lettre envoyée de Buenos Aires à E. Armand le 3 décembre 1928 En ligne
  2. Lucien-Ernest Juin, dit E. Armand (1872 – 1962) est un anarchiste né en 1872 à Paris. Il publie en 1911 son Petit manuel anarchiste individualiste En ligne. Fonde en 1922 le journal L’En-Dehors. Progressivement, au fil des numéros, il encourage les expérimentations dans le domaine des relations dite "amoureuses" ou sexuelles. Voir Gaetano Manfredonia, Francis Ronsin, E. Armand et "la camaraderie amoureuse". Le sexualisme révolutionnaire et la lutte contre la jalousie, 2000 En ligne. À lire aussi L’illégaliste anarchiste est-il notre camarade ? publié en 1923 En ligne.
  3. Il publie Entretien sur la liberté de l’amour En ligne, Amour libre et liberté sexuelle (1925) En ligne, Le Combat contre la jalousie et le sexualisme révolutionnaire (1926), Ce que nous entendons par liberté de l'amour (1928), La Camaraderie amoureuse ou "chiennerie sexuelle" (1930) et La Révolution sexuelle et la camaraderie amoureuse (1934). Il écrit une partie de la rubrique "amour" de L’encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure En ligne
  4. Nicola Sacco (1891 – 1927) et Bartolomeo Vanzetti (1888 – 1927) sont deux anarchistes individualistes et végétariens, d’origine italienne, immigrés aux États-Unis. Ils sont accusés de deux braquages en 1919 et 1920. Dans ce dernier, deux personnes sont abattues. L’accusation maintient que l’argent devait servir aux milieux anarchistes radicaux proches de l’individualiste Luigi Galleani (1861 – 1931) auxquels appartiennent Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti. À cette époque, les anarchistes "galleanistes" multiplient les actions à l’explosif sur le territoire des États-Unis. En 1925, Celestino Madeiros, déjà condamné à mort, affirme être responsable du braquage de 1920 mais le dossier n’est pas réouvert. L’affaire "Sacco et Vanzetti" suscite une vague de soutien à travers le monde sur des positions pour la plupart "innocentistes". Nicola Sacco, Bartolomeo Vanzetti et Celestino Madeiros sont exécutés sur la chaise électrique dans la nuit du 22 au 23 août 1927, près de Boston. Après l’exécution, le juge, le bourreau, un témoin et un juré eurent droit à un attentat à l’explosif contre leur domicile. Même pour la protivophilie, il semble improbable – comme certains l’affirment – que le slogan anarchiste individalisto-végétarien "Ni bottes de keufs. Ni côtes de bœuf" puisse avoir été tagué, en solidarité, sur les murs du fournisseur d’électricité, de la maison du cuisinier de la prison ou d’un vendeur de barbecue. Voir aussi Giuseppe Ciancabilla, Contre l’organisation, 1902 En ligne
  5. Osvaldo Bayer, Les anarchistes expropriateurs, Atelier de Création Libertaire, 1995 [en ligne]
  6. Écrivaine argentine, libertaire et féministe, elle est mariée au propriétaire du journal La Critica. Elle écrit de nombreux articles et lettres publiques, et organise des rencontres pour demander l’amnistie de Simon Radowitzky. Elle est soupçonnée d’avoir financé son évasion en 1918. Elle est en contact épistolaire avec Radowitzky jusqu’à la mort de ce dernier.
  7. Simon Radowitzky (1889 – 1956) est un anarchiste russo-argentin condamné pour l’assassinat du chef de la police argentine le 14 novembre 1909. Il passe 21 ans au bagne d’Ushuaïa avant d’être libéré en 1930. Il rejoint en 1936 les anti-fascistes en Espagne pour se battre dans une des colonnes anarchistes en lutte contre le franquisme. Voir De la Russie à l'Argentine. Parcours d'un anarchiste au début du XXe siècle, 2017 En ligne Disponible sur [1]