Alain Chany

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Alain Chany. Éleveur de chèvres altiligérien décédé en 2002.

[En cours de rédaction]

Fils du rien

Né à Langeac, le grand-père paternel d'Alain Chany immigre vers Paris au lendemain de la Première guerre mondiale pour fuir la misère économique. Comme beaucoup de bougnats il y ouvre un café, dans le XIème arrondissement de la ville-capitale française. Son père, Pierre Chany, après des rêves de carrière de cycliste interrompue par la Seconde guerre mondiale, de multiples petits boulots et un passage par la résistance clandestine à l'invasion allemande, devient un journaliste sportif spécialiste du cyclisme.

Alain Chany naît à Paris en 1946. Selon ses propres dires[1], il commence à écrire vers l'âge de 15 ans. Il fait des études à la Sorbonne où il obtient une licence de philosophie. Les remous sociaux et politiques qui secouent la France dans la fin des années 1960 sont porteurs de beaucoup d'espoirs pour une jeune génération. Les grèves ouvrières et les contestations estudiantines sont traversées de rigueurs idéologiques, de spontanéités libertaires, de misère économique et de rêves de lendemains différents. Mai 68 sonne le glas de tout cela. La déception est grande pour tout celleux qui ont cru y voir, au mieux, un possibilité révolutionnaire de renverser l'état des choses, au pire, un moyen de mendier quelque-chose à l’État. Ce retour au calme est surtout un retour à la normalité : les ouvriers au travail et les étudiants à se concocter un avenir brillant. La fracture sociale est toujours aussi présente, les ouvriers et les étudiants prolétarisés d'un côté, les "fil(le)s de" et les carriéristes de l'autre. Les uns travailleront pour les autres.

Fortes têtes des faubourgs qui avaient attendu d’un avenir collectif qu’il les sollicitât ailleurs que dans le domaine limité pour lequel ils avaient été instruits par les écoles de la République : l’usage rétribué des mots (instituteurs)[2]

Si les illusions d'hier laissent place à la résignation et à la désillusion pour le plus grand nombre, pour certains elles ouvrent de belles carrières de journalistes, de politiques, de publicistes, d'avocats, d'artistes, d'intellectuels, etc. Tout ce qui était honni devient opportunité, tout ce qui était rejeté est maintenant convoité. Jusqu'à l'écœurement. Celleux qui ont refusé cet ordre de dispersion, qui ne se sont pas suicidés de désespoir ou qui ne sont pas rentrés dans le rang, constatent avec tristesse que le "vieux monde" est toujours là. Amer, Alain Chany publie en 1972 le roman-récit L'ordre de dispersion[3].

Jean (...) ne respecte pas les ordres de dispersion. Il faut voir ce que deviennent les copains, les anciens [...]. Cette fois, c’est clair : beaucoup de mes amis ont des certitudes qui me font défaut. Qu’on se mette à parler de l’année dernière, et ils me disent : "A cette époque". Ces anciens combattants ne peuvent m’offrir, au mieux, qu’une chopine de souvenirs [...]. Dispersion, dispersion... [...]. Ses anciens amis donnent dans les choses sérieuses.[4]

Parmi tout celleux qui sont déçus, il y en a qui décident de rompre avec les pratiques politiques habituelles et envisagent de ce mettre en marge. Parfois avec l'utopie de vouloir vivre "autre chose", parfois par simple rejet de l'existant. Les années 1970 sont celles des communautés de "baba-cool", des expériences collectives ou des projets alternatifs. Ces migrations d'urbains vers les campagnes pauvres répondent aussi à la difficulté de vivre dans des grandes agglomérations urbaines pour celleux qui n'ont qu'un petit boulot ou n'en ont pas du tout.

Ils sont partis faire de la maçonnerie dans le Lot, de la plomberie dans la Corrèze, du bûcheronnage dans la Creuse, du silence partout, renouant toujours avec une tradition manuelle qui les rapproche de leur origine sociale.[2]

Numéro 1 de la revue Subjectif, février 1978
Alain Chany participe à la revue Subjectif du "Groupe pour l’organisation unifiée de la lecture appliquée et généralisée" qui fait paraître sept numéros entre février 1978 et décembre 1979[5]. Influencée par le marxisme et le surréalisme, Subjectif est une revue littéraire, critique de cinéma et poètesse, au ton irrévérencieux. Dans le numéro 5 de février 1979, dont le thème est "Le retour du Je", il y fait paraître le texte "Le cirque d'hiver" [6].

Ça suffit ! On reprend la parole, pour ne plus la lâcher, sinon pour se torcher le cul avec ce que vous serez obligés d’écrire sur nous. Faut ce qui faut ! Marre des critiques et des romans où les bien-pensants, croisant leur image dans un miroir, constatent qu’ils ont pris un coup de vieux. Marre des professeurs et du clerc-état qui nous interdisent de piner et de taper sur nos machines, si nous ne donnons pas d’abord le mode d’emploi. Marre des zophres qui chient petit et mesquin et qui sont laids à dégueuler. Marre des necrivores qui, non contents de vivre par transparence tout ce qu’ils n’osent pas, font Bataille le matin, Seguy le midi et Hersant le soir. Marre des maigres et des lâches. Nous, on sera, comme par le passé, du côté des mythes et des héros : nous inventerons, nous ne commenterons pas. À bas les sciences humaines ! Vive l’écriture inhumaine ! Nos maîtres radotent, profitons-en ! Refusons d’être au centre. Soyons des Sauvages. Ne nous embarrassons pas de nuances ! La plume au poing, et le tout dans leur gueule. Ça va saigner. Il n’y a pas de maîtres-penseurs et les Français sont plus dégueulasses que les Allemands ! On a toujours raison de se révolter. Quiconque accepte son sort n’est pas un artiste. Quiconque parle à Beaubourg ou écrit dans le Figaro-Dimanche n’est pas fréquentable. Ne nous endormons pas, battons la mort tant qu’il est temps. Vive Dieu, vive satan ! Vive le sang, vive le foutre et vive l’urine ! Vive Staline ! Et vive Makhno ! Car nous sommes tous Staline et Makhno. Ça va schlinguer, les créateurs reviennent. Qu’on se le dise…[7]

Le succès de L'ordre de dispersion ne nourrit pas son auteur. La fin des années 1970 rime pour Alain Chany avec galère et désillusion. Rechercher un travail salarié ne fait pas partie de ses projets et il survit comme il le peut, sans travail, ni maison. Et pas seulement parce qu'il pleut à Paris, il décide finalement de quitter la ville courant 1978 pour la Haute-Loire où il peut, selon lui, au moins vivre d'un potager et avoir un toit. Il veut y trouver :

Je sais pas... Sans doute une forme de simplicité de moyens. Probablement. Je suis servi d'ailleurs. Mais... Comme on dit quand celui ou cet objet ou ce tableau est intéressant parce qu'il a été réalisé avec une simplicité de moyens. Moi, c'est un peu mon genre.[1]

Altiligérien

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Alain Chany, Une sécheresse à Paris, 1992
Direction Langeac dans la maison du grand-père paternel. Puis Alain Chany, avec femme et enfant, se lance dans un projet d'élevage de brebis. Installée sur les hauteurs des gorges de l'Allier dans le hameau de Ramenac - dépendant de la commune de Monistrol-d'Allier en Haute-Loire [8] - une bergerie voit le jour en 1985 avec un troupeau de 200 bêtes. Vers 1989 l'installation est agrandie et en 1993 le troupeau comporte 300 individus. Il consacre la plupart de son temps et de son énergie aux différents travaux inhérents à une bergerie et à une vie rurale : nourrir les brebis, entretenir les installations, couper du bois, s'occuper des plantations, etc.

Pour ce qui est de l'écriture, je n'aime pas être organisé. J'aime improviser. Le temps de l'écriture est un temps particulier. [...] J'écris lorsque je pense qu'écrire est plus important que tout [1]

La vie quotidienne est celle d'un petit éleveur qui trime dur et qui peine à maintenir son exploitation à flot. Il note ses réflexions sur des bouts de papiers et des cahiers d'écoliers. Parfois, il vient se distraire en contre-bas de Ramenac au bar de Pont d'Allegras, un petit village sur les bords de l'Allier, y acheter du tabac et se ressourcer auprès de son philosophe préféré, Heineken, qui l'empêche de voir double.

Voir tout dans rien et ne rien voir du tout sont les deux mamelles de la religion et du nihilisme [2][9]

Il écrit jusqu'au début des années 1980, mais cela reste dans ses tiroirs. Pendant une dizaine d'années, il cesse d'écrire. Finalement, il envoie un manuscrit et, en 1992, publie son second livre Une sécheresse à Paris.

Je ne voyais pas ce que je pouvais dire en plus que ce que j'avais écris dans ce livre. Pas d'inspiration supplémentaire. [1]

Le 2 décembre 2002, Alain Chany décède subitement, terrassé par une commotion cérébrale.

Nécrologie

Verre à moutarde

La courte nécrologie d'Alain Chany proposée par F. Merdjanov dans Analectes de rien a des airs d'éloge funèbre

Homme de peu et de peu de textes, Alain Chany, après avoir sorbonné en philosophie et s’être lassé de 68, se retire élever des brebis dans une ferme de Haute-Loire. Pulls tricot, clopes roulées et scotch sur lunettes, j’t’emmerde ![10]

Dans cette macédoine de près de 200 auteurs cités qu'est l'ouvrage de F. Merdjanov, publié en 2017, Alain Chany tient une place particulière

Dans nos familles, on boit dans des verres à moutarde. Nous ne sommes pas des aristocrates. Nous manquons d’élégance ; et notre race est incertaine. Mais nous n’oublions rien.[4]

Traite

  • L'Ordre de dispersion, Gallimard, 1972
  • "Le cirque d’hiver", Subjectif, n° 5, février 1979
  • Une sécheresse à Paris, Édition de l'Olivier, 1992

Recueil des trois publications :

  • Vessies et lanternes, Édition de l'Olivier, 2016

Notes

  1. 1,0 1,1 1,2 et 1,3 D'après l'interview d'août 1993 disponible sur le site de l'INA - En ligne
  2. 2,0 2,1 et 2,2 Alain Chany, Une sécheresse à Paris, Édition de l'Olivier, 1992
  3. Cette même année, Pierre Chany, reçoit le Grand Prix de la Littérature sportive pour son ouvrage sur le Tour de France
  4. 4,0 et 4,1 Alain Chany, L'ordre de dispersion, Gallimard, 1972
  5. Le livre Le retour du je, Galilée, 1981 compile tous les numéros de Subjectif
  6. Alain Chany, "Le cirque d’hiver", Subjectif, n° 5, février 1979
  7. Éditorial du numéro 1 de Subjectif, février 1978
  8. Le gentilé pour les habitants de la Haute-Loire est altiligérien, de alti haut et de liger, le nom latin de la Loire
  9. Cité à l'entrée "Vessies et lanternes" dans F. Merdjanov, Analectes de rien, 2017 - En ligne
  10. Dans F. Merdjanov, Analectes de rien, 2017 - En ligne