Jean Bilski : Différence entre versions

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Concrètement, à [[Nice]], un ami de Jean Bilski se fait frapper par deux néo-fascistes. D'après lui, les plus énervés des militants d'extrême-droite aiment à se livrer à du tabassage de gauchiste ou autres clampins sans que cela n'entraîne de représailles. Il le déplore et est bien décidé à venger son ami. Ses propos sous-entendent que vengeance il y eut mais sans donner plus de précisions.  
 
Concrètement, à [[Nice]], un ami de Jean Bilski se fait frapper par deux néo-fascistes. D'après lui, les plus énervés des militants d'extrême-droite aiment à se livrer à du tabassage de gauchiste ou autres clampins sans que cela n'entraîne de représailles. Il le déplore et est bien décidé à venger son ami. Ses propos sous-entendent que vengeance il y eut mais sans donner plus de précisions.  
  
Jean Bilski rêve encore mais il lui manque "''500 briques''" <ref name="#bils" /> pour mener à bien le projet qui lui tiendrait le plus profondément.  
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Jean Bilski rêve encore mais il lui manque "''500 briques''" <ref name="#bils" /> pour mener à bien le projet qui lui tiendrait le plus profondément à cœur.  
  
 
<blockquote>''Parce que moi ce que je voudrais c'est monter un truc, on prend un terrain pourri, qui a été détruit complètement, brûlé même si possible, avec les moyens qu'on a, on peut le remettre d'aplomb, ça prendra bien cinq ans, dix ans, on fait un truc super chouette, on est une vingtaine de mecs et de nénettes qui s'entendent vachement bien avec les gens qu'il y a autour, qui remettent le truc d'aplomb, biologique, avec recherche, en travaillant le moins possible, en essayant d'automatiser le truc, parce que je ne veux pas revenir à l'heure des choux, je veux mettre un tracteur. Au bout de dix ans, qu'on est bien avec les gens, on voit le rapport de force, on dit : maintenant il y a plus un flic qui rentre ici, plus de contrôle pour le shit, des trucs comme ça, je ne sais pas, il y a plus un flic qui rentre ici, il se fera descendre s'il rentre. Si il y a une mec recherché, il peut venir ici, s'il y a quelqu'un qui nous bousille ce terrain qu'on a remis d'aplomb. Une usine qui nous fait chier, une centrale nucléaire, on la fait sauter. Et le dire ouvertement. Je pense qu'ils seraient bien niqués si on a bien calculé notre coup. On peut rien nous faire.'' <ref name="#bils" /></blockquote>
 
<blockquote>''Parce que moi ce que je voudrais c'est monter un truc, on prend un terrain pourri, qui a été détruit complètement, brûlé même si possible, avec les moyens qu'on a, on peut le remettre d'aplomb, ça prendra bien cinq ans, dix ans, on fait un truc super chouette, on est une vingtaine de mecs et de nénettes qui s'entendent vachement bien avec les gens qu'il y a autour, qui remettent le truc d'aplomb, biologique, avec recherche, en travaillant le moins possible, en essayant d'automatiser le truc, parce que je ne veux pas revenir à l'heure des choux, je veux mettre un tracteur. Au bout de dix ans, qu'on est bien avec les gens, on voit le rapport de force, on dit : maintenant il y a plus un flic qui rentre ici, plus de contrôle pour le shit, des trucs comme ça, je ne sais pas, il y a plus un flic qui rentre ici, il se fera descendre s'il rentre. Si il y a une mec recherché, il peut venir ici, s'il y a quelqu'un qui nous bousille ce terrain qu'on a remis d'aplomb. Une usine qui nous fait chier, une centrale nucléaire, on la fait sauter. Et le dire ouvertement. Je pense qu'ils seraient bien niqués si on a bien calculé notre coup. On peut rien nous faire.'' <ref name="#bils" /></blockquote>

Version du 6 novembre 2018 à 10:56

Jean Bilski. Mort anonyme de la guerre sociale.


Faim

Les joies de la vie en caravane (Version publicitaire

La mère de Jean Bilski quitte son village pour Paris car ce fils est né hors-mariage vers 1954 après Jésus aka Christ©[1] et la "société villageoise" conservatrice voit cela d'un très mauvais œil. L'enfant est jugé honteux et le père reste inconnu. Jean Bilski est élevé à la campagne par ses grands-parents - des ouvriers agricoles - jusqu'à l'âge de onze ans où sa mère décide de le reprendre à sa charge. Il s'installe avec elle et son nouveau parâtre dans le Var. Alors qu'il est au collège, avec deux ou trois de ses amis, il fait de petits vols dans des maisons inhabitées de Saint-Aygulf, entre Saint-Raphaël et Sainte-Maxime, lors desquels ils détroussent de l'alcool et des livres. Bilski entre au lycée technique de Draguignan à l'âge de seize ans. La famille habite dans la caravane beau-paternelle. Au bout de deux mois, il fugue avec quelques comparses mais sont repris peu de temps après.

Parce que mon beau-père et ma mère c'étaient des malheureux, c'est les mecs qui auraient été bonards si ça n'avait pas merdé pour eux. [...] Pas que le fric. Oui c'est-à-dire qu'ils vivaient dans une caravane sous la neige n'importe quoi...[2]

Selon ses dires, il découvre l'anarchisme lors d'un petit boulot où il est chargé de vider les poubelles et de ramasser les journaux dans un centre de vacances. Dans ce contexte qui mêle journalisme et détritus, il trouve "logiquement" un numéro du Nouvel Observateur qui relate de menus infos sur les anarchistes. Jean Bilski lit des livres sur l'anarchisme et organise même des petites expositions sur le sujet dans son lycée.

Une nouvelle fugue et ses parents décident de l'envoyer à Toulon où il passe devant le juge pour enfant, puis est envoyé dans un centre d'orientation en mai 1970. Il y reste un mois et fugue de nouveau.

Milieu

Lors de son cours passage au centre d'orientation de Toulouse il fait connaissance de militants "maos" [3], dont certains sont éducateurs, et participe à quelques tractages du Secours Rouge [4].

Après, j'ai revu les anars, des mecs bonards. Là, on faisait déjà des casses, avec les anars. On habitait dans une piaule pourrie, quartier réservé. On faisait des petits casses comme ça. [2]

Il survit ainsi en multipliant les petits casses dans des maisons dont le butin est ensuite revendu au marché aux puces de la ville. La nourriture est volée, mais le petit groupe vit "comme des malheureux" [2]. Jean Bilski est arrêté en possession de mèches à explosif - dit cordon Bickford - et prend un mois et demi de prison à Draguignan. À sa sortie il réintègre le centre d'orientation mais n'y reste que huit mois. En novembre 1971, il fugue et tente de survivre, mais le manque d'argent est problématique. En février 1972, armé d'une mitraillette Sten il fait son premier braquage.

Je pensais que je pouvais pas le faire parce qu'il y avait plein de monde. En fait j'ai pas peur de me faire descendre, ce que j'ai peur, c'est le contact avec les flics, me faire choper sans arme. Tant que je peux tenir une arme, me descendre ou descendre, ça va, ça je m'en fout. Je veux absolument pas être arrêté, aller en taule, la mort lente et tout. [2]

"Mort aux vaches" et les trois point tatoués en triangle sont alors l'équivalent de l'actuel "All Cops Are Bastard". Pendant un an, il grenouille "vaguement quoi" avec les maos de La Cause du Peuple[5] en qui il voit des espèces d'anarchistes. Parmi le groupe de militants qu'il fréquente il est le seul ouvrier. Et traité comme tel, avec toute la déférence que les "maos" affectionnent vis-à-vis de ce qu'ils appellent la classe ouvrière[6]. Il trouve un travail de manœuvre sur les chantiers navals de la Seyne-sur-mer, près de Toulon, et y reste presque une année entière avant de se faire licencier pour sa participation à des grèves. Tout en côtoyant ces militants politiques qui ne cautionnent pas son acte, il effectue seul le braquage d'une petite banque dans laquelle il rafle vingt mille francs, "deux briques", soit deux millions d'anciens francs[7]. Pour ce faire, il s'arme d'une imitation de M16 qu'il modifie et, sans le savoir, le rend inutilisable ! Il fuit l'agence qu'il vient de braquer avec sa propre mobylette. En couverture, il se fait embauché à la Ciotat et fait une formation de soudeur pendant six mois, puis travaille seulement deux mois avant de quitter cet emploi. Il tombe malade et part six mois dans un sanatorium.

Mais là je suis tombé malade, j'étais tubard [8], je suis allé faire six mois de sana, il y avait un infirmier bonard qui connaissait soit-disant Puig Antich et tout ça. On a discuté un peu. J'ai commencé à réfléchir, c'est là que m'est venu l'idée des centrales nucléaires, des trucs comme ça ; quand je suis revenu de là-bas, j'avais pris des distances. Tu vois j'étais vachement copain avec les maos, c'étaient des mecs bonards mais j'avais des idées autonomes. Je savais vraiment ce que je voulais faire. [2]

Citroën DS version Fantomas pour des casses réussis
En plein chagrin après une séparation amoureuse, avec un comparse, il participe à un braquage dans le Gard, à Uzès. Ils n'ont pas le temps de se faire ouvrir le coffre et doivent se contenter de la caisse qui contient 50000 francs. Ils s'enfuient en voiture - une Citroën DS - et prennent en otage un des deux motards de la police alors à leur poursuite. Ils volent une voiture.

On a fait descendre le mec, on a mis le flic au volant, on est parti. On a tiré. Quelques balles derrière sur eux, on les a pas eu, ils nous suivaient à 50 mètres toujours la même distance. On est sorti, on ne savait pas où aller, on lui a dit : nous on s'en fout, on ne veut pas aller en taule, on veut caner, si tu veux t'en tirer tu te démerdes à les semer, tu connais la région. Le mec s'est démerdé quoi ! [2]

Après avoir abandonné leur otage, ils rejoignent Avignon, puis se séparent. Jean Bilski se change, coupe ses cheveux et passe par Orange pour retourner jusqu'à Toulon. Son comparse disparaît avec l'argent. Pour vivre, il enchaîne quelques braquages mais la plupart des coups qu'il tente de mettre en place restent sans lendemain. Son idée est de dévaliser un fourgon ou un casino. Il imagine même enlever un banquier ou l'écrivain Jean-Edern Hallier [9], qu'il n'a pas l'air d'apprécier[10]. Les braquages de banque ne rapportent pas assez, une fois le butin réparti entre les braqueurs. Il espère réaliser un gros coup afin de ne plus avoir à prendre des risques toutes les deux semaines pour de petites sommes. A Narbonne, il braque une agence bancaire mais le caissier résiste un peu et l'équipe perd du temps. Il échappe de peu à la capture. Dans sa fuite, il braque encore une épicerie et parvient à se changer. Il fuit à pied par les petites rues narbonnaises, puis se posent dans un bar. Le coup est réussi. Lors de ses braquages, il a souvent une fausse grenade avec lui. Pour impressionner. Et il se targue de n'avoir pris que des flics en otage.

Il se dit suicidaire depuis des années sans n'être jamais passé à l'acte. Les raisons sont multiples et l'argent n'est pas le seul problème. Celui pour qui "c'est plus difficile de draguer une nénette que d'attaquer une banque" [2] se dit plein d'envies qu'il sait irréalisables.

Mettons je suis, je vais me mettre sur les centrales nucléaires, je vais imaginer tout un truc super compliqué avec un groupe qui va rester vachement uni, qui va faire une communauté super pendant un an, ou alors bon l'autre jour c'était les fachos, on a été obligé de braquer les fachos de Nice, bon, pendant six mois on va faire un truc vachement bien organisé, niquer les fachos complètement, parce qu'ils sont super puissants à Nice. Enfin bon, c'est des trucs complètement irréalisables qui tiennent pas compte des autres gens. C'est des trucs qui sont à ma mesure... [2]

Concrètement, à Nice, un ami de Jean Bilski se fait frapper par deux néo-fascistes. D'après lui, les plus énervés des militants d'extrême-droite aiment à se livrer à du tabassage de gauchiste ou autres clampins sans que cela n'entraîne de représailles. Il le déplore et est bien décidé à venger son ami. Ses propos sous-entendent que vengeance il y eut mais sans donner plus de précisions.

Jean Bilski rêve encore mais il lui manque "500 briques" [2] pour mener à bien le projet qui lui tiendrait le plus profondément à cœur.

Parce que moi ce que je voudrais c'est monter un truc, on prend un terrain pourri, qui a été détruit complètement, brûlé même si possible, avec les moyens qu'on a, on peut le remettre d'aplomb, ça prendra bien cinq ans, dix ans, on fait un truc super chouette, on est une vingtaine de mecs et de nénettes qui s'entendent vachement bien avec les gens qu'il y a autour, qui remettent le truc d'aplomb, biologique, avec recherche, en travaillant le moins possible, en essayant d'automatiser le truc, parce que je ne veux pas revenir à l'heure des choux, je veux mettre un tracteur. Au bout de dix ans, qu'on est bien avec les gens, on voit le rapport de force, on dit : maintenant il y a plus un flic qui rentre ici, plus de contrôle pour le shit, des trucs comme ça, je ne sais pas, il y a plus un flic qui rentre ici, il se fera descendre s'il rentre. Si il y a une mec recherché, il peut venir ici, s'il y a quelqu'un qui nous bousille ce terrain qu'on a remis d'aplomb. Une usine qui nous fait chier, une centrale nucléaire, on la fait sauter. Et le dire ouvertement. Je pense qu'ils seraient bien niqués si on a bien calculé notre coup. On peut rien nous faire. [2]

L'agent lui manque pour ce projet, mais aussi la vingtaine de complice pour mener à bien son utopie. Pour autant, il se dit lui-même incapable de vivre en communauté sans chercher à exercer du pouvoir, à vouloir tout contrôler. Par peur bien plus que par avidité. Il est bien conscient aussi que l'argent fausse les rapports entre les hominines, entre celleux qui en ont et les autres. Alors il prend la décision de se suicider. Mais il ne compte pas partir tout seul. Pour lui, il doit tout faire pour protéger ses proches de ses actes futurs, pour ne pas les impliquer malgré elleux, et mettre fin à ses jours avec panache.

Je vais faire un truc pas possible, si possible avec des gags, faire mettre de la pop music ou faire distribuer de l'argent. Parce que moi je me dis il n'y aura pas de ronds dans la caisse, je compte pas partir, je vais rentrer dire : je veux parler au commissaire Tollens, un commissaire fou, d'ailleurs, un cow-boy, je veux le bureau du sous-directeur et là, je vais prendre tout le monde en otage, j'essaierai que les mecs soient le mieux possible, je préparerai un truc pour qu'ils comprennent bien que moi je veux mourir mais qu'eux ils doivent me donner envie de vivre, parce que si je meurs, la grenade que j'ai en main va exploser. S'ils m'énervent, je me suicide, sur un coup de te. En plus, il ne peuvent pas me faire durer, parce que si je m'endors, une grenade ça a vite fait de glisser d'une main. [...] Je prendrais trois cent millions et j'essaierai de faire distribuer le reste, ou le brûler, pourquoi pas. [2]

Dans son plan, il a prévu de parvenir à s'échapper mais espère vraiment que la police sera suffisamment efficace pour l'abattre lors de sa fuite. Les chances de survie sont quasi-nulles.

Les trucs marxistes tout ça je les ai assimilés, mais ce qui domine chez moi c'est le reste. [2]

Dans le courant de l'année 1975, il rencontre un journaliste de Libération qui fait des enquêtes sur les "jeunes braqueurs fous". Celui-ci enregistre Jean Bilski pendant un heure et demie où il se raconte à travers une interview. Il parle de son parcours, de ses espoirs et dépressions, de sa vie et de ses projets suicidaires. Il se livre honnêtement sur ses propres limites, analyse sa situation de prolétaire et interroge sur l'utilité de l'action politique pour répondre à l'immédiateté de quelqu'un qui veut vivre ou trouver une raison de vivre. D'après le journaliste, Bilski revient le voir trois jours plus tard pour lui annoncer un changement de programme.

Tout ce que je t'ai raconté sur l'enlèvement, cela ne tient plus ; les armuriers à Paris sont des cons, je n'ai pas eu l'arme que je voulais et puis j'ai une rage de dents. Je crois que je vais tout simplement me tirer une balle dans la tête. [2]

La cassette audio de l'entretien est mise dans un tiroir. Sans suite. Plus de nouvelles de Jean Bilski.

Des buts ?

Jean Bilski souriant. Vue de dos [11]

Le matin du 14 mai 1976, Boulevard des Italiens à Paris, Jean Bilski s'approche, une arme à la main, près d'une voiture. Il vise l'un des deux occupants, tire et le tue. La passagère est blessée. Bilski contourne la voiture et se tire deux balles dans le corps. Une dans le ventre, une dans la tête. Il meurt de ses blessures. Sa cible est le président Crédit Lyonnais depuis 1970, puis PDG depuis 1974, très impliqué dans un récent conflit social et encore en froid avec les syndicats. Hormis son P38 et une fausse grenade, la police trouve sur Bilski ses papiers d'identité. Aucune revendication [12].

L'enquête incrimine les "anarchistes", la presse y va de son couplet sur la dangerosité et la délinquance de la jeunesse ou reprend les divagations policières qui parlent du milieu anarcho-gauchiste toulousain[13]. La Fédération Anarchiste fait savoir qu'elle n'a strictement rien à voir avec cette histoire. Pour rompre, selon ses dires, avec le discours que l'affaire Bilski déclenche, le journal Libération fait paraître dans ses éditions du 19 et du 20 mai 1976 la retranscription de l'entretien donné par Bilski l'année précédente. L'enquête policière conclura à l'acte individuel d'un jeune anarchiste de 22 ans.

L'éditorial de Libération sur "L'affaire du Boulevard des Italiens" se sent obligé de rappeler que :

Son assassinat ne mène nulle part. Il ne sert à rien. Bilski cherchait un symbole et il est tombé sur un homme, sur [Jacques] Chaine. Ça ne changera rien à la société. Sauf pour Bilski pendant quelques secondes, celles qui ont précédé son suicide.[14]

Ce que n'aurait pas démenti Jean Bilski.

Je veux tout ou rien[2][15]

Épiphénomène

Pour tous, je ne suis rien. Et cependant, si demain je lance une bombe, ou assassine, je deviens le tout, l’homme qui existe, l’homme pour lequel d’innombrables générations de jurisconsultes ont préparé des châtiments, des prisons et des théories. Moi, qui ne suis rien, je mettrai soudain en mouvement ce terrible mécanisme de flics, de secrétaires, de journalistes, d’avocats, de procureurs, de geôliers, de voitures cellulaires, et personne ne verra en moi un pauvre diable, mais un homme antisocial, l’ennemi qu’il faut écarter de la société.[16]

Cet extrait du roman Les sept fous de Roberto Arlt résume à lui seul de nombreuses vies, celles d'hominines désespérés d'attendre quelque chose qui ne vient pas. La reconnaissance sociale, les amours heureuses, les envies inassouvies et les instants de tranquillité. L'insurrection ? La guerre sociale - c'est-à-dire les mécanismes collectifs et/ou individuels pour survivre à des conditions sociales, sur lesquelles il n'y a aucune prise directe, et aux dispositifs de coercition mis en place pour les faire accepter - engendre son lot de morts. Paradoxalement, le suicide transforme le nihilisme en une croyance, celle en la mort et ses illusions libératrices. Si Jean Bilski n'est pas le premier à ne pas vouloir partir seul, Richard Durn[17] ne sera sans doute pas le dernier à pratiquer cette forme particulière de suicide assisté. Ainsi va aussi la guerre sociale[18].

Ladislav Klíma, un suicidaire inachevé mort de la tuberculose, rend hommage à ces anonymes qui crurent voir dans leurs gestes une illusoire libération :

L'hominine qui se respecte quitte la vie quand il veut ; les braves gens attendent tous, comme au bistrot, qu'on les mette à la porte.[19]

Notes

  1. Jésus aka Christ©, dit aussi JC, est ce morbide prophète qui préconise la pauvreté et fait de la misère une volonté divine, avec d'autant plus de facilité qu'il n'y sera jamais confronté, lui qui prétend multiplier le vin et les petits pains. "Heu­reux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous. Heureux, vous qui avez faim main­tenant, car vous serez rassasiés. Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez" (Luc 6, 20-21)
  2. 2,00 2,01 2,02 2,03 2,04 2,05 2,06 2,07 2,08 2,09 2,10 2,11 2,12 et 2,13 Entretien avec Jean Bilski, réalisé courant 1975 et publié par le journal Libération le 19 mai 1976 - En ligne
  3. Au sens strict, les maoïstes, appelés aussi "maos", sont un courant révolutionnaire marxiste s'inspirant de la "Pensée Mao Zedong", le grand timonier de la révolution en Chine. La lecture qui est faite de Mao en Europe et aux États-Unis d'Amérique est diverse. Des révolutionnaires y puisent ses aspects marxistes autoritaires alors que d'autres ne retiennent que sa célèbre maxime "On a toujours raison de se révolter" et font de la Révolution culturelle chinoise une révolte spontanée de la jeunesse face à l'immobilisme et les conservatismes. En France, dans les années 1970, les nombreux groupes maoïstes s'associent aux luttes des travailleurs immigrés, des femmes, des homosexuels, des prisonniers, des révolutionnaires du monde entier dans une pratique politique qualifiée de nos jours de "mouvementiste". Ils s'enthousiasment pour le monde ouvrier et la jeunesse délinquante. Cette myriade maoïste s'active dans tous les sens pour susciter une grande révolte populaire sans hiérarchie ni parti politique, spontanée. Le terme de "mao-spontex", ou simplement "spontex", désigne les maoïstes spontanéistes qui dans l'anonymat s'acharnent à souffler sur les braises du grand incendie à venir.
  4. Sur le modèle de la Croix Noire Anarchiste, crée au début du XXème siècle pour venir en aide aux prisonniers anarchistes, le Secours Rouge International est lancée en 1922 afin d'aider les prisonniers communistes et plus généralement les victimes de la lutte des classes. Cette organisation disparaît dans le début des années 1940. Depuis de nombreuses organisations communistes et collectifs de solidarité avec des prisonniers aiment à se prétendre en être une sorte de continuité et opte pour en reprendre le nom.
  5. La Cause du Peuple est le journal du groupe maoïste Gauche Prolétarienne (GP), publié de 1968 à 1972, dont Jean-Paul Sartre est le faire-valoir. La branche clandestine de la GP est à l'origine de multiples sabotages et actions symboliques. La dissolution de la GP et la disparition de La Cause du Peuple mèneront ses membres vers le suicide, la clandestinité armée, le désenchantement ou la résignation politique. Pour d'autres, la fin de la GP est le début d'une brillante carrière de journalistes, de philosophes, d'universitaires, d'urbanistes, d'architectes, etc. Le quotidien Libération naît de cet Ordre de dispersion Comme le remarque très bien l'un d'eux, Serge July, dans son éditorial du 19 mai 1976 consacré à la mort de Jean Bilski, "ils montreront que les intellectuels s'en sortent toujours parce qu'ils subliment leur expérience, à la différence de ce jeune délinquant qui a rencontré un jour des gauchistes et qui les a quitté plus désespéré qu'avant."
  6. Parmi la galaxie maoïste, un certain nombre fantasme une classe ouvrière qu'ils imaginent centrale pour la révolution à venir. Un peu à l'image des étudiants russes qui "vont au peuple" au XIXème pour l'inciter à la révolte, quelques centaines de maoïstes se font embaucher dans des usines pour être au plus prêt de leur sujet révolutionnaire. Les Établis, comme ils sont surnommés, veulent organiser des grèves et faire monter la tension entre les ouvriers et leurs patrons. Certains resteront des années. Voir Robert Linhart, L'établi, Éditions de Minuit, 1978
  7. En 1960, le pouvoir politique français lance le nouveau franc qui équivaut à 100 anciens francs. Pendant les années qui suivent cette introduction, beaucoup de personnes continuent à parler en anciens francs, ainsi il est courant de dire un million en 1970 pour parler de 10000 nouveaux francs. Ce qui correspond à environ 1500 euros actuels.
  8. La tuberculose pulmonaire
  9. Issue de la bourgeoisie militaire par son père et industrielle par sa mère, Jean-Edern Hallier se finance une carrière de polémiste-journaliste-écrivain dans laquelle il joue le rôle de l'intellectuel rebelle et maudit. Mélange de provocation, de vantardise, de polémique et d'amertume, le personnage se résume très bien par le nom du journal qu'il anima pendant des années L'idiot international.
  10. Dans son interview, Jean Bilski fait référence au voyage de Jean-Edern Hallier au Chili en 1973 pour y remettre 3000 dollars à la résistance à Pinochet, mais il revient sans l'argent.
  11. Pour les fétichistes ou les nécrophiles, la photo est vendue 475 euros sur internet
  12. "Depuis l’année 1968, des centaines d’actions de lutte armée ont été revendiquées ou pas par les groupes autonomes. À notre connaissance, aucune exécution de personne n’a eu lieu, excepté l’acte de Jean Bilski". Cité dans Retour sur les années de braise, Éditions du CRAS, 2005 - En ligne
  13. Voir le journal télévisé de 20h du 14 mai 1976 sur la deuxième chaîne de l'audiovisuel public - En ligne
  14. Éditorial de Libération du 19 mai 1976, signé Serge July.
  15. L'archéologie protivophile voit dans ces quelques mots d'infimes traces de ce qui peut mener F. Merdjanov à intituler l'un de ses textes Le tout, le rien - En ligne
  16. Roberto Arlt, Les Sept Fous. Cité à l'entrée "spontex" dans F. Merdjanov, Analectes de rien - En ligne
  17. Le 27 mars 2002, Richard Durn tire sur les membres du conseil municipal de Nanterre. Il tue huit personnes et en blesse 19 autres. Maîtrisé, il hurle "Tuez-moi !". Il est arrêté et déclare d'après la police : "Je décidais d’en finir en tuant une mini élite locale qui était le symbole et qui étaient les leaders et décideurs dans une ville que j’ai toujours exécrée. [...] Je vais devenir un serial killer, un forcené qui tue. Pourquoi ? Parce que le frustré que je suis ne veut pas mourir seul, alors que j’ai eu une vie de merde, je veux me sentir une fois puissant et libre". Il se défenestre lors de l'interrogatoire et meurt. Dans la tête des tueurs de masse. Écrits et journaux intimes des mass-killers, Inculte, 2017 publie le journal intime de Richard Durn
  18. "L'honneur perdu de Jean Bilski", tract trouvé dans la rue à Angoulême, reproduit dans le journal Union ouvrière, n° 18, 15 juin 1976 - En ligne. Original sur le site Archives autonomies - En ligne
  19. Ladislav Klima, "Aphorismes", Instant et éternité, 1927