Invisibilité sociale (Raciste) : Différence entre versions
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+ | '''Invisibilité sociale'''. L'invisibilité sociale est la situation faîte aux catégories, humaines1 ou non2, considérées ou traitées en tant que subordonnées et dont la présence, le rôle ou l'histoire ne sont pas pertinents à retenir pour celles et ceux qui bénéficient de ce rapport de subordination. De la sorte, on peut être invisibilisé pour son « appartenance » à plusieurs catégories. | ||
+ | Cela serait une erreur de se fier aux listes ci-dessous pour rendre compte de la présence des invisibles dans l'histoire des sociétés humaines, et plus juste de penser à toutes celles et ceux qui n'y sont pas et dont il ne reste – peut-être – rien. Ces listes seront mis à jour au fur et à mesure de l'avancement de ce wikimerdja… | ||
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+ | == Raciste == | ||
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+ | Les mêmes qui accusent les victimes du racisme d’être « trop présentes », leur dénient une existence historique positive. Subissent le racisme toutes les personnes issues de l’immigration, et plus généralement celles considérées « différentes »3 et discriminées pour cela. Les différenciations se construisent selon des critères subjectifs que sont les coutumes culturelles et sociales, la langue utilisée, l’origine familiale, la religion pratiquée ou prêtée, les habitudes alimentaires, la couleur de peau et tant d’autres. La liste n’est pas exhaustive et un seul de ces critères peut suffire pour des raisonnements racistes. Ces « différences » sont érigées en véritables frontières avec l’Autre, dans une myriade de nuances. Ces critères discriminatoires varient selon les époques et les lieux. Quand l’immigration en France est composée de beaucoup d’italiens4 ou de polonais, le racisme à leur encontre est fait de préjugés, de misère sociale, d’arbitraire, de violences populaires ou policières, de ségrégations systématiques et systémiques, et se fonde alors sur des raisonnements qui prêtent à ces migrants de mauvaises intentions personnelles et collectives, de petites vertus ou des « tares sociales qui nuisent au pays ». Ce racisme est pluriel dans ses expressions. Les populations de l’empire colonial français, alors très peu présentes en métropole, subissent des formes de racisme spécifiques. Le XVIII<sup>ème</sup> puis le XIX<sup>ème</sup> siècle ont donné naissance à des théories politiques et scientifiques justifiant la hiérarchisation des humains dans des catégories appelées « races ». Ce néo-racisme se marie ainsi très bien avec la traite esclavagiste à partir de l’Afrique au profit de l’économie de pays européen, avec la colonisation progressive et son lot de pillages, d’exploitation forcenée et d’expropriations de terre. Alors que dans les colonies le racisme s’exprime sur la majorité via une minorité (les colons) épaulée financièrement et militairement par les institutions étatiques, les personnes migrantes venues, avant ou après la fin de l’empire colonial français, se confrontent dans l’ex-métropole au racisme de la majorité, supportée légalement par les autorités et moralement par le « bon-sens raciste populaire » ! Si les descendants des italo-polonais sont depuis reconnus pleinement français par l’État et les autres français, celles et ceux dont la famille proche est originaire d’ex-colonies ne sont toujours pas considérés comme tels. Ils souffrent toujours de diverses stigmatisations collectives, de répression sociale et de violences policières, d’empêchements et de contraintes administratives, etc. Ceux que le discours contestataire ou universitaire post-moderniste nomme les « racisés »5, c’est-à-dire qui subissent le racisme. Ces personnes sont individuellement assignées à une ou plusieurs catégories stigmatisantes, collectivement contraintes par injonctions à y appartenir et suspectées à jamais « de loyauté douteuse » à ce(ux) qui les catégorise(nt) ainsi ! | ||
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+ | Il n’est pas possible de déterminer le type de racisme vécu par F. Merdjanov. Si l’installation de ses ancêtres est ancienne, on peut facilement imaginer que, tout au plus, la différenciation ce fit par des moqueries enfantines et méchantes dans la cours de récréation sur macédoine et quelques jeux de mots intelligents sur la proximité phonétique entre merde et merdjanov. Un peu comme une blague culinaire à une jeune iranienne farsi et qui s’appelle Shapuri (prononcez chapouri), ou un jeune avec un prénom breton qui se tape à toute les récréations la chansonnette « Ils ont les chapeaux ronds... » lorsqu’il sort sa casquette. La créativité est grande à ces âges-là ! Si l’installation des merdjanovo-ascendants en France s’est faîte entre la dite Première guerre mondiale et 1970, il est aisément imaginable qu’ils purent être victime de stigmatisations et préjugés sur les slaves en général ou sur les « yougo » en particulier. Si elle est plus ancienne, les choses se posent autrement. La situation politique dans les territoires ottomans et les guerres qui s’y mènent font que nombre de petites communautés de réfugiés se constituent dans des villes de plusieurs pays européens. L’hostilité n’est pas aussi marquée. Nice, ville de naissance de F. Merdjanov, est un exemple parmi d’autres de l’installation d’une communauté d’exilés russes – et sans doute macédonienne selon la protivophilie :6 | ||
+ | Dans des temporalités historiques assez semblables à la communauté russe, les exilés de Macédoine s’installent dans la ville, fuyant des situations politiques féroces. À l’instar de la Genève de la fin du XIX<sup>ème</sup> siècle où les plus radicaux de toutes les tendances révolutionnaires de Russie s’installent pour ourdir faits et gestes, Nice devient le centre politico-illusionniste des exilés macédoniens. | ||
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+ | Sans photo, ni témoignage, F. Merdjanov reste anonyme et, par conséquent, les hypothétiques points stigmatisants ne nous sont pas accessibles. L’exacerbation raciste n’est pas l’apanage de la France. Selon que la famille de F. Merdjanov soit issu de l'une ou l’autre des communautés formant la mosaïque ethnico-imaginaire macédonienne7, elle a pu vivre des formes de discriminations s’appuyant sur des discours racistes à la sauce macédonienne. La transmission d’un patronyme n’étant qu’un automatisme social et le fait de le porter un pur hasard, nous ne pouvons nous contenter de l’origine macédonienne du patronyme Merdjanov pour en tirer une quelconque conclusion. Les ascendants de F. Merdjanov ont pu finalement être originaires de partout, et donc vivre le racisme. | ||
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+ | Cet état de fait raciste est vécu par plusieurs millions de personnes en France. Si les migrations plus anciennes sont maintenant plus valorisées par l’historiographie, les dernières en date sont minimisées dans la mise en valeur des apports multiples que toutes les migrations induisent, et leurs profondeurs historiques sont niées pour être ramenées à un simple fait sociologique actuel ou une donnée économique. Les racismes ordinaires et institutionnels se mêlent, même s’ils n’en tirent pas les mêmes avantages ou ne produisent pas de discours strictement similaires. Dans La matrice de la race8, Elsa Dorlin essaye de démontrer, par exemple, l’imbrication entre le racisme et le sexisme dans la production d’un discours politique, intellectuel ou culturel pendant la période coloniale. Les constructions sociales sur « le corps de la femme », sur sa nature, sa santé, son équilibre et son tempérament, s’articulent avec celles sur le corps des colonisés, hommes ou femmes, dans un jeu de miroir – parfois inversé – où ils servent de galvaniseur ou de repoussoir, selon les époques, pour motiver les citoyens et les citoyennes de l’État français pour son projet d’une chimérique nation française : se mettre au travail, se reproduire quand il le faut et faire la guerre sans sourciller pour sauver une nation qui « prend corps ». Faisant sienne cette antique comptine enfantine « Les ennemis de mes ennemis ne sont pas mes amis », dans une libre interprétation, le pouvoir étatique réussit de la sorte à se servir d’un discours raciste pour justifier une meilleure exploitation des colonisés et des citoyens métropolitains. | ||
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+ | L’un des mérites du black feminism9 est d’avoir pointé les aspects racistes des discours des féministes blanches américaines dans leurs manières de dénoncer la situation des femmes noires aux États-Unis, et réussi ainsi à les rendre visibles. S’appuyant sur la critique féministe, plusieurs militantes contredisent les visions qui les assignent à la place de la « femme noire » soumise et violentée par un « homme noir » naturellement porté à ça. Elles deviennent ainsi scénaristes de leur devenir et de son analyse sans avoir à passer par la médiation des actes et des discours d’autres féministes. Généralement les femmes disparaissent derrière la figure stéréotypée de l’homme noir telle qu’elle s’est construite aux États-Unis. L’esclavage étant sur le territoire même du pays, il est compliqué de faire disparaître l’Homme noir de l’historiographie officielle. Des approches tendent à valoriser toutes les formes de résistance, individuelles ou collectives, entre hommes, entre hommes et femmes, ou entre femmes à tous les moments, de la mise en esclavage à partir de l’Afrique jusqu’aux plantations américaines10. Cela rompt avec l’écriture d’une histoire de l’esclavage où les personnes capturées sont présentées comme acceptant massivement leur sort, hormis quelques révoltes, ou attendant la mort. La visibilité de ces actes de résistance n’efface pas l’horreur de l’esclavage mais elle contribue à rappeler l’inéluctable révolte qui naît de toutes les situations, même les plus désespérées. La colonisation a peu à peu introduit une construction sociale de l’image des populations colonisées que reflètent très bien les expositions universelles et les zoos humains11 apparus au début du XIX<sup>ème</sup> siècle. Dans la première phase de la colonisation, la mise en scène fabrique des habitats « primitifs » où les humains sont montrés en tant que « sauvages » pour démontrer la nécessité de la colonisation. Dans un second temps, dans une théâtralité qui frise la démonstration d’animaux savants, ce sont les « bienfaits de la colonisation » qui sont mis en avant pour motiver les prolétaires en Métropole à toujours plus travailler. Ces exemples, loin d’être exhaustifs, sont une des composantes de la pensée raciste actuelle dont les fils historiques datent de cette époque. | ||
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+ | De part son année de naissance, F. Merdjanov n’a connu directement que l’esclavage salarié. Un lien possible avec des formes d’esclavage classiques peut passer par son ascendance macédonienne. En effet, dans certaines régions balkaniques12, les Roms ont été contraints de se plier à des brimades, des mutilations, aux marques au fer et aux entraves et, comme dans toutes les autres régions d’Europe, ils doivent s’adapter en permanence à des lois et décrets qui tentent de les chasser. Lors sa présence dans les Balkans l’empire ottoman met en place le système de devşirme (« récolte » en turc). Entre le XIV<sup>ème</sup> et le début du XIX<sup>ème</sup> siècle, les familles chrétiennes des territoires conquis qui ne se convertissent pas sont contraintes de fournir régulièrement de jeunes garçons qui sont ensuite envoyés à Constantinople, éduqués au système ottoman et convertis à l’islam. À l’âge adulte, ils sont employés dans l’administration ou formés au maniement des armes pour constituer un corps d’infanterie (janissaire) ou de cavalerie (''sipahi'') de l’armée ottomane. À cet esclavage militaire et administratif s’ajoute l’esclavage domestique, de loisir ou sexuel alimentés par des captures de populations slaves et germaniques. En cela, l’empire ottoman est dans la continuité de la traite des esclaves pratiquée par les premiers empires musulmans qui se fournissent déjà en Afrique et en Europe centrale et orientale13. Dans les premiers siècles de son existence, l’Andalousie musulmane14 importe une grande part de ses esclaves de ces dernières régions. Le terme même d’esclave dérive de l’antique Esclavonie, l’actuelle région de Slavonie à la frontière croato-serbe, qui était l’un des points névralgiques de ce commerce d’humains via les Balkans. À tel point qu’il remplaça le terme ''servus'' employé en latin pour désigner les esclaves. | ||
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+ | L’ancienneté de ces faits ne permet à personne d’en faire porter une quelconque responsabilité à F. Merdjanov au fallacieux prétexte que ses « origines » seraient balkaniques et que l’un de ses ascendants aient pu avoir à faire avec la traite esclavagiste. Peut-être en furent-ils victimes ? Dans cette éventualité, nous avons mené des recherches mais nous n’avons trouvé aucune pétition revancharde signée F. Merdjanov pour demander que la Turquie verse des dédommagements à l’Autriche pour le siège de Vienne en 1529 ou à des pays balkaniques pour la traite des esclaves. Ni de pétition internationaliste où la Grèce est sommée d’indemniser l’Afghanistan pour les conquêtes d’Alexandre de Macédoine. Ni aucune autre pétition d’ailleurs… | ||
+ | Se faire des illusions est un problème dans la mesure où, justement, il est question d’une illusion15 |
Version du 13 septembre 2017 à 16:57
Invisibilité sociale. L'invisibilité sociale est la situation faîte aux catégories, humaines1 ou non2, considérées ou traitées en tant que subordonnées et dont la présence, le rôle ou l'histoire ne sont pas pertinents à retenir pour celles et ceux qui bénéficient de ce rapport de subordination. De la sorte, on peut être invisibilisé pour son « appartenance » à plusieurs catégories. Cela serait une erreur de se fier aux listes ci-dessous pour rendre compte de la présence des invisibles dans l'histoire des sociétés humaines, et plus juste de penser à toutes celles et ceux qui n'y sont pas et dont il ne reste – peut-être – rien. Ces listes seront mis à jour au fur et à mesure de l'avancement de ce wikimerdja…
RacisteLes mêmes qui accusent les victimes du racisme d’être « trop présentes », leur dénient une existence historique positive. Subissent le racisme toutes les personnes issues de l’immigration, et plus généralement celles considérées « différentes »3 et discriminées pour cela. Les différenciations se construisent selon des critères subjectifs que sont les coutumes culturelles et sociales, la langue utilisée, l’origine familiale, la religion pratiquée ou prêtée, les habitudes alimentaires, la couleur de peau et tant d’autres. La liste n’est pas exhaustive et un seul de ces critères peut suffire pour des raisonnements racistes. Ces « différences » sont érigées en véritables frontières avec l’Autre, dans une myriade de nuances. Ces critères discriminatoires varient selon les époques et les lieux. Quand l’immigration en France est composée de beaucoup d’italiens4 ou de polonais, le racisme à leur encontre est fait de préjugés, de misère sociale, d’arbitraire, de violences populaires ou policières, de ségrégations systématiques et systémiques, et se fonde alors sur des raisonnements qui prêtent à ces migrants de mauvaises intentions personnelles et collectives, de petites vertus ou des « tares sociales qui nuisent au pays ». Ce racisme est pluriel dans ses expressions. Les populations de l’empire colonial français, alors très peu présentes en métropole, subissent des formes de racisme spécifiques. Le XVIIIème puis le XIXème siècle ont donné naissance à des théories politiques et scientifiques justifiant la hiérarchisation des humains dans des catégories appelées « races ». Ce néo-racisme se marie ainsi très bien avec la traite esclavagiste à partir de l’Afrique au profit de l’économie de pays européen, avec la colonisation progressive et son lot de pillages, d’exploitation forcenée et d’expropriations de terre. Alors que dans les colonies le racisme s’exprime sur la majorité via une minorité (les colons) épaulée financièrement et militairement par les institutions étatiques, les personnes migrantes venues, avant ou après la fin de l’empire colonial français, se confrontent dans l’ex-métropole au racisme de la majorité, supportée légalement par les autorités et moralement par le « bon-sens raciste populaire » ! Si les descendants des italo-polonais sont depuis reconnus pleinement français par l’État et les autres français, celles et ceux dont la famille proche est originaire d’ex-colonies ne sont toujours pas considérés comme tels. Ils souffrent toujours de diverses stigmatisations collectives, de répression sociale et de violences policières, d’empêchements et de contraintes administratives, etc. Ceux que le discours contestataire ou universitaire post-moderniste nomme les « racisés »5, c’est-à-dire qui subissent le racisme. Ces personnes sont individuellement assignées à une ou plusieurs catégories stigmatisantes, collectivement contraintes par injonctions à y appartenir et suspectées à jamais « de loyauté douteuse » à ce(ux) qui les catégorise(nt) ainsi ! Il n’est pas possible de déterminer le type de racisme vécu par F. Merdjanov. Si l’installation de ses ancêtres est ancienne, on peut facilement imaginer que, tout au plus, la différenciation ce fit par des moqueries enfantines et méchantes dans la cours de récréation sur macédoine et quelques jeux de mots intelligents sur la proximité phonétique entre merde et merdjanov. Un peu comme une blague culinaire à une jeune iranienne farsi et qui s’appelle Shapuri (prononcez chapouri), ou un jeune avec un prénom breton qui se tape à toute les récréations la chansonnette « Ils ont les chapeaux ronds... » lorsqu’il sort sa casquette. La créativité est grande à ces âges-là ! Si l’installation des merdjanovo-ascendants en France s’est faîte entre la dite Première guerre mondiale et 1970, il est aisément imaginable qu’ils purent être victime de stigmatisations et préjugés sur les slaves en général ou sur les « yougo » en particulier. Si elle est plus ancienne, les choses se posent autrement. La situation politique dans les territoires ottomans et les guerres qui s’y mènent font que nombre de petites communautés de réfugiés se constituent dans des villes de plusieurs pays européens. L’hostilité n’est pas aussi marquée. Nice, ville de naissance de F. Merdjanov, est un exemple parmi d’autres de l’installation d’une communauté d’exilés russes – et sans doute macédonienne selon la protivophilie :6 Dans des temporalités historiques assez semblables à la communauté russe, les exilés de Macédoine s’installent dans la ville, fuyant des situations politiques féroces. À l’instar de la Genève de la fin du XIXème siècle où les plus radicaux de toutes les tendances révolutionnaires de Russie s’installent pour ourdir faits et gestes, Nice devient le centre politico-illusionniste des exilés macédoniens. Sans photo, ni témoignage, F. Merdjanov reste anonyme et, par conséquent, les hypothétiques points stigmatisants ne nous sont pas accessibles. L’exacerbation raciste n’est pas l’apanage de la France. Selon que la famille de F. Merdjanov soit issu de l'une ou l’autre des communautés formant la mosaïque ethnico-imaginaire macédonienne7, elle a pu vivre des formes de discriminations s’appuyant sur des discours racistes à la sauce macédonienne. La transmission d’un patronyme n’étant qu’un automatisme social et le fait de le porter un pur hasard, nous ne pouvons nous contenter de l’origine macédonienne du patronyme Merdjanov pour en tirer une quelconque conclusion. Les ascendants de F. Merdjanov ont pu finalement être originaires de partout, et donc vivre le racisme. Cet état de fait raciste est vécu par plusieurs millions de personnes en France. Si les migrations plus anciennes sont maintenant plus valorisées par l’historiographie, les dernières en date sont minimisées dans la mise en valeur des apports multiples que toutes les migrations induisent, et leurs profondeurs historiques sont niées pour être ramenées à un simple fait sociologique actuel ou une donnée économique. Les racismes ordinaires et institutionnels se mêlent, même s’ils n’en tirent pas les mêmes avantages ou ne produisent pas de discours strictement similaires. Dans La matrice de la race8, Elsa Dorlin essaye de démontrer, par exemple, l’imbrication entre le racisme et le sexisme dans la production d’un discours politique, intellectuel ou culturel pendant la période coloniale. Les constructions sociales sur « le corps de la femme », sur sa nature, sa santé, son équilibre et son tempérament, s’articulent avec celles sur le corps des colonisés, hommes ou femmes, dans un jeu de miroir – parfois inversé – où ils servent de galvaniseur ou de repoussoir, selon les époques, pour motiver les citoyens et les citoyennes de l’État français pour son projet d’une chimérique nation française : se mettre au travail, se reproduire quand il le faut et faire la guerre sans sourciller pour sauver une nation qui « prend corps ». Faisant sienne cette antique comptine enfantine « Les ennemis de mes ennemis ne sont pas mes amis », dans une libre interprétation, le pouvoir étatique réussit de la sorte à se servir d’un discours raciste pour justifier une meilleure exploitation des colonisés et des citoyens métropolitains. L’un des mérites du black feminism9 est d’avoir pointé les aspects racistes des discours des féministes blanches américaines dans leurs manières de dénoncer la situation des femmes noires aux États-Unis, et réussi ainsi à les rendre visibles. S’appuyant sur la critique féministe, plusieurs militantes contredisent les visions qui les assignent à la place de la « femme noire » soumise et violentée par un « homme noir » naturellement porté à ça. Elles deviennent ainsi scénaristes de leur devenir et de son analyse sans avoir à passer par la médiation des actes et des discours d’autres féministes. Généralement les femmes disparaissent derrière la figure stéréotypée de l’homme noir telle qu’elle s’est construite aux États-Unis. L’esclavage étant sur le territoire même du pays, il est compliqué de faire disparaître l’Homme noir de l’historiographie officielle. Des approches tendent à valoriser toutes les formes de résistance, individuelles ou collectives, entre hommes, entre hommes et femmes, ou entre femmes à tous les moments, de la mise en esclavage à partir de l’Afrique jusqu’aux plantations américaines10. Cela rompt avec l’écriture d’une histoire de l’esclavage où les personnes capturées sont présentées comme acceptant massivement leur sort, hormis quelques révoltes, ou attendant la mort. La visibilité de ces actes de résistance n’efface pas l’horreur de l’esclavage mais elle contribue à rappeler l’inéluctable révolte qui naît de toutes les situations, même les plus désespérées. La colonisation a peu à peu introduit une construction sociale de l’image des populations colonisées que reflètent très bien les expositions universelles et les zoos humains11 apparus au début du XIXème siècle. Dans la première phase de la colonisation, la mise en scène fabrique des habitats « primitifs » où les humains sont montrés en tant que « sauvages » pour démontrer la nécessité de la colonisation. Dans un second temps, dans une théâtralité qui frise la démonstration d’animaux savants, ce sont les « bienfaits de la colonisation » qui sont mis en avant pour motiver les prolétaires en Métropole à toujours plus travailler. Ces exemples, loin d’être exhaustifs, sont une des composantes de la pensée raciste actuelle dont les fils historiques datent de cette époque. De part son année de naissance, F. Merdjanov n’a connu directement que l’esclavage salarié. Un lien possible avec des formes d’esclavage classiques peut passer par son ascendance macédonienne. En effet, dans certaines régions balkaniques12, les Roms ont été contraints de se plier à des brimades, des mutilations, aux marques au fer et aux entraves et, comme dans toutes les autres régions d’Europe, ils doivent s’adapter en permanence à des lois et décrets qui tentent de les chasser. Lors sa présence dans les Balkans l’empire ottoman met en place le système de devşirme (« récolte » en turc). Entre le XIVème et le début du XIXème siècle, les familles chrétiennes des territoires conquis qui ne se convertissent pas sont contraintes de fournir régulièrement de jeunes garçons qui sont ensuite envoyés à Constantinople, éduqués au système ottoman et convertis à l’islam. À l’âge adulte, ils sont employés dans l’administration ou formés au maniement des armes pour constituer un corps d’infanterie (janissaire) ou de cavalerie (sipahi) de l’armée ottomane. À cet esclavage militaire et administratif s’ajoute l’esclavage domestique, de loisir ou sexuel alimentés par des captures de populations slaves et germaniques. En cela, l’empire ottoman est dans la continuité de la traite des esclaves pratiquée par les premiers empires musulmans qui se fournissent déjà en Afrique et en Europe centrale et orientale13. Dans les premiers siècles de son existence, l’Andalousie musulmane14 importe une grande part de ses esclaves de ces dernières régions. Le terme même d’esclave dérive de l’antique Esclavonie, l’actuelle région de Slavonie à la frontière croato-serbe, qui était l’un des points névralgiques de ce commerce d’humains via les Balkans. À tel point qu’il remplaça le terme servus employé en latin pour désigner les esclaves. L’ancienneté de ces faits ne permet à personne d’en faire porter une quelconque responsabilité à F. Merdjanov au fallacieux prétexte que ses « origines » seraient balkaniques et que l’un de ses ascendants aient pu avoir à faire avec la traite esclavagiste. Peut-être en furent-ils victimes ? Dans cette éventualité, nous avons mené des recherches mais nous n’avons trouvé aucune pétition revancharde signée F. Merdjanov pour demander que la Turquie verse des dédommagements à l’Autriche pour le siège de Vienne en 1529 ou à des pays balkaniques pour la traite des esclaves. Ni de pétition internationaliste où la Grèce est sommée d’indemniser l’Afghanistan pour les conquêtes d’Alexandre de Macédoine. Ni aucune autre pétition d’ailleurs… Se faire des illusions est un problème dans la mesure où, justement, il est question d’une illusion15 |