Rienistes : Différence entre versions

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<blockquote>''A la fin est le rien, mais cette fin est l'avant-commencement du commencement de la fin, comme joie du créateur, le poète du futur, ce poète égo-futuriste qu'est, à mon sens, Vassilisk Gnedov.''<ref name="#ivan">Ivan Ignatev dans la préface de ''Mort à l'art'', 1913.</ref></blockquote>
 
<blockquote>''A la fin est le rien, mais cette fin est l'avant-commencement du commencement de la fin, comme joie du créateur, le poète du futur, ce poète égo-futuriste qu'est, à mon sens, Vassilisk Gnedov.''<ref name="#ivan">Ivan Ignatev dans la préface de ''Mort à l'art'', 1913.</ref></blockquote>
  
Les domaines des rienistes sont la poésie et le théâtre, mais le rien est bien plus vaste. Dans cette Russie en ébullition, dans le tourbillon révolutionnaire qui précède la chute de l'empire tsariste, puis sous ce pouvoir bolcheviste qui arase de près, des artistes s'emparent de rien, dans la peinture et le dessin, dans différents styles littératures avec des réflexions sur le langage, l'astronomie, les mathématiques, la linguistique, l'histoire, etc. Si, contrairement aux rienistes, le rien n'est pas central il garde une place importante dans leurs approches artistiques respectives. Une myriade de groupes voit le jour dans le premier quart du XX<sup>ème</sup> siècle. Illes ont pour nom ''futuriens'', ''deveniriens'', ''toutiens'', ''rayonnistes'', ''tchinariens'' et quelques autres encore<ref name="#fait" />. Éphémères et mouvantes, ces agglomérations artistiques expérimentent. Dans l'anonymat ou au grand jour, pour soi ou pour le faire savoir, elles contestent l'existant. A leur manière. Elles restent en marge de l'art officiel et refusent de participer aux institutions artistiques. Une sorte d'''underground'' politico-artistique, avec toutes ses ambiguïtés. Pour le pouvoir bolcheviste certains de ces "courants" vont être, un temps, une carte artistico-politique et il en fera la promotion. Bien que critiquées par les autres, des individualités issues de cette multitude vont officiellement participer à des institutions artistique soviétiques. Les années 1930 sonnent le glas de cet ''underground''. L'officialisation et l'étatisation de l'ensemble du domaine artistique est en passe de s'achever. Beaucoup voient leurs écrits interdits et nombre finissent au bagne. Parfois directement exécutés ou retrouvés morts dans des conditions suspectes. D'autres décident de fuir à l'étranger. En partie en France. Ou aux États-Unis d'Amérique. Pour celleux qui font le choix de rester, toute publication leur est interdite. La mise au pas bolcheviste les contraint à l'anonymat, à se tourner vers d'autres activités : la traduction de poésie en russe, les contes pour enfants ou la science-fiction; pour d'autres la linguistique, l'histoire, l'usine, etc. Aucune réédition n'est autorisée. Hormis celles étiquetées "''Trop incompréhensibles pour être dangereuses''", le pouvoir soviétique prend très au sérieux ces formes de contestation. Pour lui il s'agit d'expressions artistiques "''petite-bourgeoises''" ou "''contre-révolutionnaires''", même celles qu'il a pu soutenir quelques années auparavant !
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Les domaines des rienistes sont la poésie et le théâtre, mais le rien est bien plus vaste. Dans cette Russie en ébullition, dans le tourbillon révolutionnaire qui précède la chute de l'empire tsariste, puis sous ce pouvoir bolcheviste qui arase de près, des artistes s'emparent de rien, dans la peinture et le dessin, dans différents styles littératures avec des réflexions sur le langage, l'astronomie, les mathématiques, la linguistique, l'histoire, etc. Si, contrairement aux rienistes, le rien n'est pas central il garde une place importante dans leurs approches artistiques respectives. Une myriade de groupes voit le jour dans le premier quart du XX<sup>ème</sup> siècle. Illes ont pour nom ''futuriens'', ''deveniriens'', ''toutiens'', ''rayonnistes'', ''tchinariens'' et quelques autres encore<ref name="#fait" />. Éphémères et mouvantes, ces agglomérations artistiques expérimentent. Dans l'anonymat ou au grand jour, pour soi ou pour le faire savoir, elles contestent l'êtr'xistant. A leur manière. Elles restent en marge de l'art officiel et refusent de participer aux institutions artistiques. Une sorte d'''underground'' politico-artistique, avec toutes ses ambiguïtés. Pour le pouvoir bolcheviste certains de ces "courants" vont être, un temps, une carte artistico-politique et il en fera la promotion. Bien que critiquées par les autres, des individualités issues de cette multitude vont officiellement participer à des institutions artistique soviétiques. Les années 1930 sonnent le glas de cet ''underground''. L'officialisation et l'étatisation de l'ensemble du domaine artistique est en passe de s'achever. Beaucoup voient leurs écrits interdits et nombre finissent au bagne. Parfois directement exécutés ou retrouvés morts dans des conditions suspectes. D'autres décident de fuir à l'étranger. En partie en France. Ou aux États-Unis d'Amérique. Pour celleux qui font le choix de rester, toute publication leur est interdite. La mise au pas bolcheviste les contraint à l'anonymat, à se tourner vers d'autres activités : la traduction de poésie en russe, les contes pour enfants ou la science-fiction; pour d'autres la linguistique, l'histoire, l'usine, etc. Aucune réédition n'est autorisée. Hormis celles étiquetées "''Trop incompréhensibles pour être dangereuses''", le pouvoir soviétique prend très au sérieux ces formes de contestation. Pour lui il s'agit d'expressions artistiques "''petite-bourgeoises''" ou "''contre-révolutionnaires''", même celles qu'il a pu soutenir quelques années auparavant !
  
 
<blockquote>''L'important, c'est que paraisse une revue clandestine. La police la cherche et ne réussit pas à la trouver. Voilà ce qui frappe le public. Ce qui est écrit dedans n'a pas d'importance. Pour moi, la revue idéale serait celle où il n'y aurait "rien". Malheureusement ce n'est pas possible.''<ref>Propos d'un socialiste-révolutionnaire russe au début du XX<sup>ème</sup> siècle. Cité dans Franco Venturi, ''Les intellectuels, le peuple et la révolution'', Gallimard, 1972</ref></blockquote>
 
<blockquote>''L'important, c'est que paraisse une revue clandestine. La police la cherche et ne réussit pas à la trouver. Voilà ce qui frappe le public. Ce qui est écrit dedans n'a pas d'importance. Pour moi, la revue idéale serait celle où il n'y aurait "rien". Malheureusement ce n'est pas possible.''<ref>Propos d'un socialiste-révolutionnaire russe au début du XX<sup>ème</sup> siècle. Cité dans Franco Venturi, ''Les intellectuels, le peuple et la révolution'', Gallimard, 1972</ref></blockquote>

Version du 1 janvier 2020 à 19:08

Rienistes (renista en nissard - ништоички en macédonien). Poètes russes exprimant rien dans les années 1920 après JC[1] .


Étymologie

Rieniste est la traduction du terme russe Ничегоки, translittéré en alphabet latin par "nichevoki" ou "nitchevoki". Composé comme nihiliste - du latin nihil "rien" et -iste "être pour" - le terme de rieniste ne doit pour autant pas être confondu avec, malgré une proximité évidente basée sur rien avec un suffixe -iste. Ничегоки est aussi parfois traduit par "tenants-du-rien" ou "négativistes".

Rienie

Teffi, Rien comme ça, 1915

En références aux rienistes d'une nouvelle de l'écrivaine Nadejda Lokhvitskaïa, dite "Teffi"[2], qui prônent la destruction totale de l'art, des artistes s'agglomèrent au début de 1920 et prennent le nom de Rienistes dans la ville de Rostov-sur-le-Don, au sud de la Russie.

Ne rien écrire. Ne rien publier. Ne rien dessiner. Ne pas organiser de spectacles. Bref, ne pas faire le fanfaron.

Pour compléter cette déclaration d'intention des fictifs rienistes de Taffi, les rienistes rostoviens diffusent en août 1920, quelques mois après la prise de la région par les bolchevistes, un texte sur la poésie qui se conclut par une formule semblable. S'inspirant de rien, leur approche artistique est "touche-à-tout", une forme de négation totale. Les signataires de ce "manifeste" sont au nombre de six : Oleg Erberg[3], Susanna Mar[4], Elena Nikolaeva et son compagnon Alexandr Ranov[5], Rjurik Rok[6] et Sergueï Sadikov.

N'écrivez rien
Ne lisez rien !
Ne dites rien !
Ne publiez rien![7]

La Rienie n'a ni frontières ni racines, elle est un territoire qui englobe tout les domaines de l'art. Les rienistes rejettent toutes les influences et nient avoir des inspirateurs : "illes abolissent les lois poétiques mais aspirent néanmoins à un grand Rien poétique qui mènerait à une Rienie infinie car non définie"[8]

Plus grande était la popularité dont jouissait telle ou telle personnalité artistique, plus grand était le désir des rienistes de la renverser de son piédestal. Il semblait aux rienistes qu'il suffisait d’une seule négation pour que tel ou tel artiste considérable, tel ou tel poète connu fût réduit en cendres. C’est pour cela que les rienistes se consacraient peu au travail créateur. Ils consacraient toute leur énergie à l’invention et la discussion de plans pour renverser les artistes les plus en vue.[9]

Rienistes

Les rienistes s'accaparent la mise au pas de l'art par les bolchevistes pour la détourner. Aux tentatives d'inclure les formes artistiques dans un projet totalitaire en créant des structures étatiques destinées aux artistes, les rienistes opposent la dictature du rienisme. Ils parodient le nouveau pouvoir et ses affiliés par la mise en place de multiples pseudo-structures : le Bureau des Rienistes (TBN) est chargé de la diffusion de rien auprès des masses prolétaires, le Tribunal Révolutionnaire[10] doit punir l'utilisation de formes poétiques déclarées annulées par les décrets rienistes, le Front de Combat Artistique International et les Cellules Créatrices doivent répandre les thématiques rienistes... Pour se faire illes prônent l'impôt littéraire et la terreur verbale, à l'image de l'impôt révolutionnaire et de la terreur politique des bolchevistes. Aux six signataires du Bureau Créateur des Riénistes, quelques poètes se joignent à la contestation poétique : l'expressionniste Boris Zemenkov signe le Décret sur la poésie le 17 avril 1921, Lazar Soukharebski[11], Movses Agabadov des éditions Hobo, Devis Oumanski et quelques autres.

Il est temps de nettoyer par la force la poésie de cet élément de vie qui est de fumier, traditionnel et de poésie artisanale, au nom de la collectivisation du volume de la création du principe universel et du Masque du Rien. Ce principe, pour les matérialistes et les idéalistes banals, n’existe pas : il n’est rien pour eux. Nous sommes les premiers à lever les briques de l’insurrection pour le Rien.[7]

1. La destruction de l'art comme forme esthétique dans l'abstraction et le transport de l'art dans la vie quotidienne.
2. La destruction de l'art qui nous précède en le discréditant. Les moyens en sont: la parodie, le grotesque, la dérision, la composition paradoxale.[12]

Adeptes de la provocation en tant que forme d'expression, les rienistes décernent des certificats de non-valeur pour des œuvres d'art et investissent des journaux officiels dans lesquels illes rédigent des articles sur l'art qui ne veulent rien dire. Dans une logorrhée singeant la dialectique marxiste, les rienistes se répandent dans des textes sans sens où les mots "rien", "rienistes" et "rienisme" sont omniprésents et signés par un mystérieux K. Ovechin, qui cache à peine le palindrome de nichevoki. Illes s'emparent temporairement de la maison d'édition moscovite Hobo et des locaux rostoviens de la très officielle Union des Poètes qu'illes transforment en café dans lequel la Rienie explore son infinité. Dans ce "sous-sol des poètes" initié par Devis Oumanski, les rienistes déclament leurs non-poésies et leurs non-théâtres, et exposent leurs non-œuvres. Le poète futurien Velimir Khlebnikov[13], de passage en août et septembre 1920, profite de cette place-forte rieniste pour y psalmodier quelques-unes de ses créations[14] et l'une de ses pièces, L'erreur de la mort, est montée dans le cadre de l'atelier théâtral des rienistes[8]. Hormis La boîte à chiens dans lequel les rienistes s'acharnent à démonter la poésie à la fin de 1920, illes ne produisent aucun écrit poétique en tant que tel. Les quelques recueils néanmoins publiés[15] sont suivis de communiqués et de décrets des pseudo-structures rienistes où il est expliqué que "leur poésie est de la merde et le parfait exemple de ce qu'illes condamnent"[8]. La boîte à chiens, sous-titrée "Les Travaux du Bureau Créateur des Rienistes pendant les années 1920-1921", est publiée en 1922 à 500 exemplaires[16]. En 1923, La boîte à chiens est réditée avec trois nouveaux textes : "Profanation des reliques de l’art", "S.V.O.L.O.Č. ou la Résolution du Tribunal révolutionnaire des rienistes dans l’affaire du nettoyage des bottes de la poésie par Maïakovski" et "Lettre ouverte à Maïakovski".

Déicide & Gastronomie ?[1][17]

Le seul courant encore vivant dans la poésie, l'imaginisme, est accepté par nous comme méthode partielle. L’amincissement réduira l’art à zéro, le supprimera, mènera vers le rien et à Rien. Notre but est l’amincissement de l’œuvre poétique au nom du Rien.[7]

Les modes d'actions des rienistes attirent sur elleux les foudres des artistes patentés par le pouvoir bolcheviste et la répression de celui-ci se fait de plus en plus prégnante depuis l'histoire des tampons officiels de l'Union Panrusse des Poètes. Rjurik Rok, bien que membre officiel de l'Union, est accusé de les avoir imité et est arrêté en 1921. Les attaques contre les artistes futuriens ralliés aux bolchevistes, dont Vladimir Maïakovski[18], font de la Rienie un continent isolé cerné par des eaux hostiles.

Quand les grilles pourries du charlatanisme ne sont déjà plus à même de préserver la poésie de la justice sommaire d'une réalité devenue odieuse, nous ne prendrons pas la défense d'Homère publiquement déshonoré. Parce que celui-ci, comme beaucoup d'autres restes sacrés, n'a qu'une seule voie : devenir le saucisson du rienisme mondial[19]

Les rienistes apprennent l'existence du mouvement artistique dada grâce à la publication en 1921 de Lettre d'Occident. Dada par Roman Jakobson[20]. De Moscou, où illes se sont repliés, les rienistes publient en avril 1921 un Appel aux dadaïstes[19] en qui illes voient une espèce "d'homologues occidentaux". Cet appel se veut une prolongation du Manifeste dada publié en 1918 par Tristan Tzara et qui s'ouvre par "Dada ne signifie rien". Comme le rieniste Appel aux dadaïstes. La rencontre n'eut jamais lieu[21].

Nous donnons l'alarme : "Attention citoyens ! L'art est encore en sécurité !"[19]

L'arrestation de Rjurik Rok[6] en 1921 et le suicide de Sergueï Sadikov l'année suivante porte un coup fatal aux rienistes. Le groupe explose et disparaît en 1923. De la Rienie il ne reste rien[22].

Dans la poésie, il n'y a rien ; il n'y a que les rienistes
Nous sommes les rienistes.[7]

Outre-Rienie

Dire Tout avec Rien[23]

Poème de la fin (1913) de Vassilisk Gnedov
Micro-continent perdu, la Rienie n'a pas essaimé. Pour autant, dans d'autres villes et régions de l'empire, nouvellement soviétique, des artistes s'emparent de rien. Avant et après les rienistes. Sans lien avec eux. Dans le recueil titré Mort à l'art publié en 1913 par le poète Vassilisk Gnedov, un des quinze poèmes, intitulé Poème de la fin, se compose d'une feuille blanche. Entièrement vide. Un long poème sans mot[24]. Les autres sont constitués d'une ligne, d'un ou plusieurs mots, ou d'une lettre. Gnedov se définit comme égo-poète dans la lignée de Ivan Ignatev et son Ego-futurisme. An I publié en 1912. Il déclame en silence la page blanche du Poème de la fin avec les bras, il gesticule. Pendant un certain moment[25]. Avant de se suicider en 1914 en se tranchant la gorge, Ignatev publie le recueil Échafaud-Egofuturs - dédié à ses amants dont Vassilisk Gnedov - dont l'un des poèmes intitulé Opus 45 est une forme calligraphique qui ne peut, selon la note qui l'accompagne, n'être que regardé. Ni lu, ni écouté. L'imaginisme naît dans l'ego-futurisme vers 1918. Une vision poétique plus orgiaque et décadente. L'imaginiste Sergueï Essenine est retrouvé mystérieusement pendu en décembre 1925[26] et les écrits de deux autres imaginistes Anatoli Marienhof et Vadim Cherchenevitch sont interdits en 1929.[8] Gnedov[27] est arrêté dans les années 1930 et déporté dans un bagne sibérien pendant deux décennies.

A la fin est le rien, mais cette fin est l'avant-commencement du commencement de la fin, comme joie du créateur, le poète du futur, ce poète égo-futuriste qu'est, à mon sens, Vassilisk Gnedov.[23]

Les domaines des rienistes sont la poésie et le théâtre, mais le rien est bien plus vaste. Dans cette Russie en ébullition, dans le tourbillon révolutionnaire qui précède la chute de l'empire tsariste, puis sous ce pouvoir bolcheviste qui arase de près, des artistes s'emparent de rien, dans la peinture et le dessin, dans différents styles littératures avec des réflexions sur le langage, l'astronomie, les mathématiques, la linguistique, l'histoire, etc. Si, contrairement aux rienistes, le rien n'est pas central il garde une place importante dans leurs approches artistiques respectives. Une myriade de groupes voit le jour dans le premier quart du XXème siècle. Illes ont pour nom futuriens, deveniriens, toutiens, rayonnistes, tchinariens et quelques autres encore[8]. Éphémères et mouvantes, ces agglomérations artistiques expérimentent. Dans l'anonymat ou au grand jour, pour soi ou pour le faire savoir, elles contestent l'êtr'xistant. A leur manière. Elles restent en marge de l'art officiel et refusent de participer aux institutions artistiques. Une sorte d'underground politico-artistique, avec toutes ses ambiguïtés. Pour le pouvoir bolcheviste certains de ces "courants" vont être, un temps, une carte artistico-politique et il en fera la promotion. Bien que critiquées par les autres, des individualités issues de cette multitude vont officiellement participer à des institutions artistique soviétiques. Les années 1930 sonnent le glas de cet underground. L'officialisation et l'étatisation de l'ensemble du domaine artistique est en passe de s'achever. Beaucoup voient leurs écrits interdits et nombre finissent au bagne. Parfois directement exécutés ou retrouvés morts dans des conditions suspectes. D'autres décident de fuir à l'étranger. En partie en France. Ou aux États-Unis d'Amérique. Pour celleux qui font le choix de rester, toute publication leur est interdite. La mise au pas bolcheviste les contraint à l'anonymat, à se tourner vers d'autres activités : la traduction de poésie en russe, les contes pour enfants ou la science-fiction; pour d'autres la linguistique, l'histoire, l'usine, etc. Aucune réédition n'est autorisée. Hormis celles étiquetées "Trop incompréhensibles pour être dangereuses", le pouvoir soviétique prend très au sérieux ces formes de contestation. Pour lui il s'agit d'expressions artistiques "petite-bourgeoises" ou "contre-révolutionnaires", même celles qu'il a pu soutenir quelques années auparavant !

L'important, c'est que paraisse une revue clandestine. La police la cherche et ne réussit pas à la trouver. Voilà ce qui frappe le public. Ce qui est écrit dedans n'a pas d'importance. Pour moi, la revue idéale serait celle où il n'y aurait "rien". Malheureusement ce n'est pas possible.[28]

Fausse amitié

  • Selon le "Trésor de la langue française", le rienisme est une vaste catégorie de spécialistes du long discours à partir de rien dans laquelle se rangent les chroniqueurs politiques, les commentateurs sportifs, les économistes, les théologiens, les journalistes, les romanciers ou les exégètes révolutionnaires[29]. Synonyme : Rienologue
  • Après les respiriens, qui invitent à ne rien boire ni manger, les rienistes préconisent de s'abstenir aussi de respirer : "On peut faire exploser nos blocages mentaux. Le blocage principal étant: si on ne respire pas on va mourir". Selon le très sérieux site Complots faciles, les premiers adeptes de ce régime sont morts rapidement et les survivants dénoncent un complot, un assassinat "car ce régime dérange les élites et les lobbies alimentaro-respirationnistes"[30].
  • Avec des procédés gastronomiques déjà utilisés par le passé, l'Église Réaliste Mondiale et son cuisto-gourou Freddy Malot recyclent de vieux produits périmés pour en faire une exquise recette de macédoine rance : le rienisme[31]. Freddy Malot emprunte l'ingrédient au bénédictin Dom Deschamps[32] avec lequel il mélange un bouquet de maoïsme de sa jeunesse[33] à une ratatouille de théologie négative pour faire sa propre recette. Selon le "moine athée", "le rienisme pris comme croyance n'est pas de ne croire à rien, mais de croire à rien.[34]"
  • Vieilli, rienniste est rarement utilisé dans le sens de "athée"[35].

Fausse inimitié

Terme construit sur la contradiction entre la racine nihil (rien) et le suffixe isme qui sous-tend une adhésion à la racine concernée : le nihilisme est donc un oxymore. Même en Russie où le qualificatif apparaît au XIXème siècle, il est très rarement employé par celleux qu'il est censé désigner ou dénigrer[36].

Méthode de décryptage de la vie et de l'œuvre de F. Merdjanov, le terme protivophilie est composé de l'étymon slave protiv qui signifie "contre", dans le sens de "opposé à", et de l'étymon grec phili qui signifie "pour", dans le sens de "attiré par". En français le terme de contre a un double sens. Il exprime tout autant la proximité que l'opposition. Ainsi "être contre" renvoie au fait d'être très proche alors que "être contre" indique une très forte défiance vis-à-vis de la chose contre laquelle nous sommes.

Tout faire rimer à rien
Tout doit rimer à rien
Tout peut rimer à rien
Tout rime à rien[37]

Notes

  1. 1,0 et 1,1 Jésus est le nom d'un saucisson sec de porc, emmailloté et en forme de poire, dont les origines sont controversées. Sa consommation est ancienne. Selon des textes apocryphes, lorsque le prophète des christiens décide de manifester sa rupture radicale d'avec les moïsiens, il déguste publiquement un Jésus devant ses fidèles ébahis qui décident alors de le surnommer ainsi. Il est dorénavant reconnu comme Jésus le Messie, JC en diminutif. La notoriété du prophète a quelque peu dissimulé cette dimension gastronomique de la mythologie christienne et les études récentes n'ont pas permis d'en savoir d'avantage. La seule trace plausible de cette hypothèse consiste en l'existence, encore de nos jours, d'un saucisson de porc, nommé Jésus, consommé par des hominines des régions du centre-est de la France. Sur cette théorie, voir les nombreux ouvrages théologiques écrits par le gastro-entérologue Michel Onfray.
  2. Nadejda Lokhvitskaïa, dite "Teffi", est né en 1872 en Russie. Connue pour ses articles satyriques, elle publie en 1910 et 1911 ses premiers recueils de nouvelles humoristiques. Jusqu'en 1920, elle écrit de nombreuses nouvelles et des pièces de théâtre. Désenchantée par la tournure bolcheviste, elle quitte le pays et s'installe en France où elle participe à plusieurs journaux satyriques dans lesquels elle continue à publier des nouvelles. Signalons le journal Ke-Fer?, une dédicace au Que faire ? que l'écrivain russe Nikolaï Tchernychevski fait paraître en 1863. Elle décède à Paris en 1952. Nadejda Teffi, Souvenirs. Une folle traversée de la Russie révolutionnaire, Éditions des Syrtes, 2017. Un recueil de nouvelles est publié en français : Nadejda Teffi, Et le temps s’arrêta..., Éditions de Fallois, 2011
  3. Par la suite Oleg Efremovitch Erberg deviendra un orientaliste spécialiste de la Perse et de l'Afghanistan
  4. Susanna Mar est le pseudonyme de Susanna Georgevnia Chalkushian (1900 - 1965). Après 1922, elle se rapproche des imaginistes et publie le recueil Abem. Ses publications sont interdites. Elle devient traductrice de poésie anglaise.
  5. Alexandr Ranov est le pseudonyme de Alexandr Isaacovitch
  6. 6,0 et 6,1 Rjurik Rok est le pseudonyme de Emil Eduard Gering. Né à Varsovie en 1898, il migre, via la France, aux États-Unis d'Amérique en 1934 où il obtient la nationalité en 1939. Décède en Suisse en 1962.
  7. 7,0 7,1 7,2 et 7,3 Décret sur la poésie, Rostov sur le Don, août 1920 - En ligne
  8. 8,0 8,1 8,2 8,3 et 8,4 Poésie par le fait/re, 2019. Inédit.
  9. Dans les mémoires d'Ivan Gruzinov. Cité dans La poésie d’avant-garde russe des années 1920 d'Alexandra Krasovec-Popova - En ligne
  10. Composé de Rjurik Rok, Boris Zemenkov et Sergueï Sadikov
  11. Par la suite Lazar Soukharebski deviendra spécialiste de la mémoire.
  12. Dans la revue L'ermitage, 1922.
  13. Né en 1885, Victor Vladimirovitch Khlebnikov dit Vélimir Khlebnikov fait des études de sciences dont de mathématiques. Il publie son premier poème La tentation du pécheur en 1908. Mêlant poésie, mathématiques et linguistique, Khlebnikov élabore des théories sur le temps afin, selon lui, de mettre fin aux guerres et invente une langue stellaire, la "zaoum", pour diminuer les incompréhensions entre les hominines. Initiateur, avec d'autres, du mouvement futuriste russe (différent du futurisme italien) il s'en éloigne pour créer le mouvement futurien ou avenirien. Il meurt en 1922. Quelques uns de ses écrits sont disponibles en français. Œuvres, 1919-1922, traduction de Yvan Mignot aux éditions Verdier, 2017. Voir la revue Europe (2010, n° 978) consacrée à Khlebnikov.
  14. Ilya Berezark, La mémoire raconte. Souvenirs
  15. A vous. Lecture des rienistes, 1920, 20 pages. Ce recueil contient le "Manifeste des rienistes" - A écouter en ligne. Lectures de Rjurik Rok. Poème d’un rieniste, 1921, 15 pages. Rjurik Rok, Les Quarante quarante, 1923
  16. Liste non-exhaustive des articles : "Une larme de crocodile. Un rieniste sur les rienistes", "Décret sur la séparation de l’art et de l’État", "Remplacement de l’impôt littéraire par la reconnaissance littéraire", "Décret sur la peinture", "Décret sur la poésie", "Funérailles de dernière catégorie", etc.
  17. Cette œuvre non-datée et aux origines incertaines a suscité de nombreux commentaires dans la globo-sphère protivophile. Par leur approche plus imaginiste qui voit dans ce Jésus, Jésus tout autant que Jésus, les gastro-déicidiens se différencient des théo-gastriens, plus sensibles à rien, qui y voient une nouvelle expression du célèbre ACAB, "Appellation Contrôlée, Appellation d'Bâtards". Les historico-riens penchent pour l'hypothèse d'une persistance de rien après 1923 et proposent une datation tardive, précisément en 1977, lorsqu'un astronome soviétique nomme une nouvelle comète qu'il vient de répertorier du nom de 3112 Velimir en l'honneur de Velimir Khlebnikov le futurien et numérotée par l’anagramme de 1312 ? Quand aux cosmo-gétariens cette représentation d'un Jésus est pour elleux un indice d'un lien probable, et fictif, entre dada et les rienistes. Cette démarche anti-spéciste s'adressant aux outre-hominines pour lesquels "Il n'y a rien dans le lard" rime avec "Il n'y a rien dans l'art" décrété par les rienistes en 1920. La preuve ! Ces ultra-riens ont tenté, sans succès, d'ouvrir des espaces d'expositions et d'écoutes d'œuvres d'art destinées, dans un premier temps, aux seuls animaux de compagnie des hominines. En non-mixité. Des tentatives de performances clandestines dans des zoos auprès d'animaux plus exotiques se sont soldées par quelques blessures.
  18. Né en 1893, Vladimir Maïakovski rejoint très jeune le parti social-démocrate (bolcheviste). Il fonde avec, entre autres, Vélimir Khlebnikov, le mouvement artistique hyléen qui préfigure celui des futuriens. Leur manifeste, Une gifle au goût public, est publié en 1912. Rallié au pouvoir bolcheviste après 1917, il est très critiqué. Il se suicide en 1930 d'une balle dans le cœur.
  19. 19,0 19,1 et 19,2 Appel aux dadaïstes, Moscou, 7 avril 1921
  20. Né en 1896, Roman Jakobson publie plusieurs textes poétiques et de critiques littéraires sous le pseudonyme d'Aliagrov. A partir du milieu des années 1920, il se consacre à la linguistique et ses travaux influencent la naissance du structuralisme.
  21. Henri Béhar, Catherine Dufour, Dada, circuit total, L'Âge d'Homme, 2005
  22. Alexandra Krasovec-Popova, La poésie d’avant-garde des années 1920, thèse soutenue en 2012 - En ligne
  23. 23,0 et 23,1 Ivan Ignatev dans la préface de Mort à l'art, 1913.
  24. Korneï Tchoukovski, Les futuristes, L'Âge d'Homme, 1976
  25. Jean-Claude Lanne, "Le Poème de la fin comme modalité poétique de la fin de la modernité", Modernités russes, n° 6 La fin des modernités, 2005
  26. Il laisse ce court texte, écrit avec son sang : "Au revoir, mon ami, sans poignées de main, ni paroles, ne t'attriste pas, ne fronce pas les sourcils. Dans cette vie, il n'est guère nouveau de mourir. Mais vivre n'est certes pas plus nouveau !".
  27. Vassilisk Gnedov est né en 1890. Déporté au bagne dans les années 1930 jusqu'en 1956. Olga Pilatskaya, sa compagne, est exécutée en 1937. Il meurt en 1978. Tous ses écrits sont interdits.
  28. Propos d'un socialiste-révolutionnaire russe au début du XXème siècle. Cité dans Franco Venturi, Les intellectuels, le peuple et la révolution, Gallimard, 1972
  29. "Rieniste" sur Trésor de la langue française - En ligne
  30. "Le Rienisme: apprendre à vivre sans manger, sans boire et sans respirer" - En ligne
  31. Sur le site de l'ERM : "La foi rieniste" - En ligne et "le rienisme" - En ligne
  32. Léger-Marie Deschamps, connu sous son nom de moine bénédictin Dom Deschamps, publie ses deux principaux textes Lettres sur l'esprit du siècle (en ligne) en 1769 et la Voix de la Raison contre la raison du temps en 1770. Le vrai système ou le mot de l'énigme métaphysique et morale appliqué à la théologie et à la philosophie du temps par demandes et par réponses est collecté par un de ses proches et reste inédit jusqu'en 1862 - Partie 1 et 2. Sur Dom Deschamps, voir Bronislaw Baczko, "Les discours et les messages de Dom Deschamps", Dix-huitième Siècle, n°5, 1973 - En ligne
  33. Pour une courte critique par une autre secte cosmico-maoïste voir "L'église réaliste et l'Organisation politique : deux délires ultra-subjectivistes pseudos-maoïstes" sur le site Les matérialistes - En ligne
  34. Lettre de Dom Deschamps à l'abbé Yvon
  35. Guy Robert, Mots et dictionnaires (1798-1878), VIII (Renseigner - Séditieux), 1973 - En ligne
  36. "Peu de choses sont connues sur F. Merdjanov. Naissance en 1970 à Nice. Famille d’origine macédonienne dont l’histoire croise celle du nihilisme politique des années 1900. Études de philosophie et de littérature. Travaux portant sur L’égosolisme klimaïen et le matérialisme du rien. Actuellement en apiculture sur les rives de la mer Noire. " dans F. Merdjanov, Analectes de rien, Gemidžii Éditions, 2017 - En ligne
  37. Extrait de "Vie et œuvre de F. Merdjanov" : "Il est toujours difficile pour [la protivophilie] de parler poésie sans grimacer devant la complexité d’une telle approche. "Tout faire pour rimer à rien" pourrait être le sens d’une exégèse poétique dont le cœur, épuré, dénudé, nous renvoie à un essentiel : "Tout rime à rien". Nous sommes ici dans l’épicentre de ce que nous appelons la "poétique merdjanovienne"." Dans "Vie et œuvre de F. Merdjanov" - En ligne