Filareto Kavernido

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Filareto Kavernido.

[En cours de rédaction]


a-Normalité

Heinrich Göldberg naît le 24 juillet 1880 après JC[1] à Berlin dans une famille moïsienne[2] aisée, d'une copulation entre deux hominines, Ludwig Göldberg et Elisa Karfunkel. Comme son père il entreprend des études de médecine. Il étudie à Berlin et à Fribourg, et se spécialise en psychiatrie et en gynécologie, puis s'installe comme médecin dans un hôpital berlinois. Il se marie et co-créé une enfant avec cette compagne maritale.

Alors qu'il mène la vie bourgeoise d'un médecin berlinois, Göldberg découvre les écrits de Friedrich Nietzsche qui sont pour lui plus qu'une révélation. Vers 1910 il rompt avec le judaïsme et se déclare agnostique, puis quitte son travail, sa femme et sa fille. Il apprend l'ido, une forme d'espéranto[3] réformé, dont il veut faire sa langue de communication et approfondit ses réflexions philosophiques. L'individu et ses interactions avec les autres sont au centre de ses préoccupations. Après la fin de la Première guerre mondiale, entouré de quelques hominines de tout genre, Göldberg met en place une "communauté de vie" près de Berlin, une sorte de commune libre du nom de "La Kaverno di Zaratustra" (La Grotte de Zarathoustra en langue ido).

La Kaverno di Zarathustra

Avec barbe et cheveux longs, Heinrich Göldberg abandonne nom et prénom pour dorénavant se faire appeler Filareto Kavernido, de Filareto "l'ami de la vertu" et Kavernido en référence à la grotte de Zarathoustra.

Expulsés de la région de Spreenhagen, près de Berlin, ils s'installèrent à Rotes Luch (Marais rouge), près de Dahmsdorf-Müncheberg, à l'est de la capitale. Ils ne purent tirer immédiatement de leurs travaux tout ce qui leur était nécessaire, aussi quelques-uns d'entre eux furent-ils obligés de travailler au dehors chez des patrons. Chaque camarade put choisir entre un emploi à la colonie et un emploi à l'extérieur. [...] Les adhérents comprennent des hommes, des femmes et des enfants. Ils ne séjournent pas toujours à la colonie, certains vont à Berlin, d'autres changent d'emplacement, car il existe une colonie semblable à Dusseldorf-Eller. Constamment a lieu un véritable mouvement d'échanges. Des camarades s'en vont, d'autres viennent, soit comme nouveaux colons, soit comme remplaçants. On travailla ferme. Les herbages durent être asséchés, les arbres et les broussailles abattus et enlevés. Pour construire maisons et cabanes, on dut apporter souvent de très loin les matériaux nécessaires ; dernièrement on gâcha de l'argile, on tressa des branchages et on construisit ainsi des demeures plus solides et partant plus durables pour les hommes et pour le bétail. Cet été on récolta des pommes de terre, différentes espèces de choux, des épinards, betteraves, carottes, navets, des raves, des choux-raves, des oignons, etc... On ne sema pas de blé mais la récolte de foin fut remarquable. La colonie possède des lapins, quelques chèvres et beaucoup de poulets. Quelques fois l'on capture des lapins sauvages et des lièvres. Dans les forêts avoisinantes, les colons récoltent beaucoup de baies et de champignons.[4]

Filareto décrit et publie sa vision théorique et philosophie dans Mitteilungsblätter aus Zarathustras Höhle. Les textes de ces Bulletins de la grotte de Zarathoustra sont divisés en trois parties thématiques[5] et mélangent communisme agraire, anarchisme et sur-hominine nietzschéen.

Dans la grotte de Zarathoustra, pleine de recoins et de passages, se rassemblent tous les errants perdus et tous ceux qui sont victimes de harcèlement, les hors-la-loi et les fugitifs, pour devenir des sur-hommes

La Kaverno di Zarathustra survit difficilement et Filareto est régulièrement inquiété par les autorités allemandes qui le suspectent de réaliser des avortements clandestins. Ce qui est alors formellement interdit. Il fait quelques passages en prison pour des infractions aux bonnes mœurs et son "comportement marginal" lui vaut régulièrement d'être accusé de "dérangement mental". Finalement, en 1925, Filareto doit fuir l'Allemagne pour ses pratiques d'avortement et se réfugie en France. Il y rencontre E. Armand[6], rédacteur du journal anarchiste L'en-dehors, avec qui il maintiendra des liens pendant des années. La petite communauté de la Kaverno quitte l'Allemagne en 1926 et "logiquement [...] suit la route solaire de Nietzsche et s'installe dans l'arrière-pays niçois"[7], à Tourettes-sur-Loup, au nord-est de Nice. Elle prône la nudité et l'amour libre.

Une économie collective basée autour de l'horticulture, de l'élevage des poulets, de cultures vivrières et de petits artisanats aptes à satisfaire une vie assez ascétique"[8]

Filareto fait paraître une nouvelle écrite en langue ido sous le titre La Raupo, la chenille[9]. Les accusations d'attentats à la pudeur, les difficultés d'une vie en autonomie, les tracasseries administratives pour le séjour des étrangers et les dissensions internes poussent le restant de la communauté à l'installer en Corse en 1927, près d’Ajaccio, au lieu-dit "Les Baraques", villa Miramar, sur les contreforts de la Punta Pozzo di Borgo. Selon le journal L'En-Dehors[10], en avril 1927, ils sont 30 à vivre dans la communauté communiste-anarchiste : 8 hommes[11], 4 femmes et 18 enfants. En janvier 1928, un groupe d'allemands et de suédois de la Kaverno rejoint la Corse.

Nous sommes des communistes et non point des individualistes. Parmi nous l'importance fondamentale est attribuée au milieu, tandis que l'individu ne compte que comme moyen de construction et de développement. Dans le cadre de cette construction sociale, nous laissons à l'individu l'initiative personnelle, parce que nous croyons que c'est plus avantageux pour le développement de la communauté que le système autoritaire ; et c'est pour cela que nous nous dénommons "anarchistes". De cette conception résulte que nous comprenons par bien-être, une vie de dur travail, laquelle ne nous surmène pas, mais nous fortifie physiquement et moralement. Nous n'avons point adopté de régime spécial de nourriture. Nous n'avons pas le temps de nous occuper de questions qui n'intéressent que le goût personnel du palais d'hommes qui ne pensent à rien d'autre qu'aux besoins de leur estomac et à leur commodité, qu'ils cherchent vainement à cacher sous des théories "scientifiques". Nous mangeons ce qui coûte le moins cher et nous donne la plus grande force pour pouvoir créer. Malgré tout notre communisme nous ne sommes pas des altruistes. Nous ne nous occupons point des souffrances des autres. Nous vivons une vie qui nous plaît et nous laissons à chacun la liberté de vivre avec nous si cette vie peut lui plaire ; mais nous ne promettons à personne que ce qui nous semble être le paradis à nous, l'est aussi pour lui, vu la différence des opinions sur ce point. Notre vie sexuelle est réglée selon le principe de la liberté absolue de l'individu. C'est précisément la dernière expérience d'un camarade venu qui me fait préciser notre point de vue. Ce camarade me disait qu'il croyait trouver ici un milieu émancipé où l'on vive selon la maxime "toutes à tous et tous à toutes", et il s'est montré fort ennuyé de ne pas trouver dès son arrivée une femme "libre" pour lui. Il prétendait que le besoin sexuel est un besoin aussi naturel et important que le besoin de manger, et qu'une société communiste doit pourvoir à ses besoins. Une société anarchiste n'est pas une maison de prostitution où l'on peut économiser les frais, sans courir les risques d'infection. Il me faut encore ajouter encore que nous ne sommes point des révolutionnaires ni des "lutteurs de classe", que nous n'aspirons point à construire une société de culture prolétaire. Nous sommes d'avis que l'anarchiste n'a absolument rien à faire avec la politique, nous assimilons un anarchiste révolutionnaire à un "végétalien carnivore". L'anarchiste, selon notre avis, n'a pas le droit de molester autrui. Selon nous, il ne lui reste rien à faire que quitter la société qui ne lui plaît plus, se bâtir une vie qui lui donne la satisfaction cherchée, pourvu qu'il soit assez fort pour cette tâche ; s'il ne l'est pas, il doit se résigner ― ou se pendre ― ou encore devenir bolcheviste.[12].

Les relations interindividuelles entre les hominines de la Kaverno ne sont pas faciles. La place centrale que Filareto se donne est un sujet de discorde, mais celui-ci pense qu'il est "le plus capable pour organiser [le] groupe et la vie commune et que sans [son] aide, on arriverait pas à arranger cette vie" et que "s'il y a une intelligence plus évoluée reconnue librement et volontairement par les autres, elle n'exerce pas l'autorité de l'oppression, mais l'autorité de la compétence, sans laquelle aucun progrès culturel n'est possible"[13].

Filareto est de nouveau inquiété par la justice qui lui reproche son nudisme et ses avortements clandestins. Il est accusé de "viol d'avortement et outrage public à la pudeur" et mis en préventive à la prison d'Ajaccio le 2 octobre 1928. Il est jugé le 26 avril 1929, condamné à 6 mois seulement pour "outrage à la pudeur" et libéré le jour même. Sa feuille d'écrou mentionne qu'il est arrivé et est sorti habillé de la prison : "veste kaki, pantalon noir, chemise blanche, sandales". Il semble qu'il y ait eu échange d'informations entre les polices allemande et française. En effet, une note du commissaire spécial pour le Service des étrangers signale que Filareto "avait été interné à l'hospice civil pour aliénation mentale"[8].

La Kaverno sort très affaiblie de cet emprisonnement. La décision est prise de partir en Haïti pour y retenter une nouvelle expérience. Trois hominines adultes - dont Filareto - et quatre enfants s'embarquent dans la seconde moitié de 1929 vers les Caraïbes. Mais à leur arrivée en Haïti, ils sont immédiatement expulsés.

La communauté s'installe en 1929 à Arroyo Frio près de Moca en République dominicaine. Le 16 mai 1933, Filareto Kavernido est mystérieusement assassiné de deux balles de revolver.

Notes

  1. JC
  2. moïsienne
  3. Espérento
  4. L'en-dehors, n°4, décembre 1922
  5. Kulturphilosophische betrachtungen (Réflexions philosophico-culturelles), Kultur und Zivilisation (Culture et civilisation) et Kulturkampf (Combat culturel)
  6. E. Armand
  7. F. Merdjanov, Rêve-olte dans la révolution, non daté - En ligne
  8. 8,0 et 8,1 F. Merdjanov, L'équation corse à la lumière de l'inconnue macédonienne. Précis de nihilisme montagnard et de contre-imaginaire historique, date inconnue - En ligne
  9. Filareto Kavernido, La raupo, 1926. Texte en ido, en allemand et en castillan en ligne
  10. L'En-Dehors, n°110-11 du 1er juin 1927 En ligne
  11. 4 allemands, 2 bulgares, 1 tchèque et 1 français
  12. L'En-Dehors, n° 115, 15 août 1927 En ligne
  13. Cités dans Diana Cooper-Richet, Jacqueline Pluet-Despatin, L'exercice du bonheur : Ou comment Victor Coissac cultiva l'utopie entre les deux guerres dans sa communauté de l'intégrale, Champ Vallon, 1985