Babisme
Babisme. Mouvement mahométien[1] insufflé en Perse par Sayyid Ali Mohammad, dit le Bab, dans la seconde moitié du XIXème siècle après JCⒸ[2]
SommaireQadjariensVers la fin du XVIIIème siècle le soulèvement de tribus turcophones renverse ce qu'il reste de l'empire des Séfévides et de ses successeurs[3]. Jusqu'alors forces militaires d'appoint, elles s'emparent du pouvoir politique et fondent une nouvelle dynastie, celle des qadjars. En 1786, Agha Mohammad se proclame empereur du nouvel empire sous le nom de Chah Ier et récupère une partie des territoires du Caucase et de l'Asie centrale perdus depuis les séfévides. A l'ouest l'empire ottoman, au nord la Russie et à l'est les Indes britanniques. Si les croyances mahometiennes sunnites étaient la norme dans la relation entre le religieux et le politique, les croyances mahométiennes dites chiites[4] deviennent officiellement religion d’État de l'empire qadjar[5]. Une manière de se différencier de son concurrent immédiat parmi les mahométiens, l'empire ottoman sunnite. Malgré la reprise en main de l’État et une force armée importante, les qadjars ne parviennent ni à contenir les russes qui reprennent les régions caucasiennes, ni l'avancée des britanniques qui s'opposent à la reprise de l'Herat afghan. Tout au long du XIXème siècle, la région se trouve au cœur du jeu géopolitique que mènent la Russie tsariste et le royaume britannique afin, pour l'une, d'avoir accès aux mers du sud, et pour l'autre, de préserver les routes commerciales entre la métropole et ses colonies indiennes. Les différends se règlent par guerres interposées et négociations secrètes, une forme de diplomatie du canon. L'histoire officielle retient généralement l'expression "Grand Jeu" pour définir cette période et le contexte particulier de la région. Si le premier monarque de la dynastie des qadjars règne moins d'une dizaine d'années, son successeur reste au pouvoir pendant 37 ans. Mohammad Shah, troisième de la lignée, accède au pouvoir à 26 ans en 1834. Pendant les quatorze années de son règne, il entame quelques réformes fiscales et administratives, tout en maintenant un système répressif important, et il tente de minimiser le poids des britanniques et des russes et ne parvient pas à contrecarrer le pouvoir du clergé chiite. Nasseredin Shah accède au pouvoir à 16 ans à la mort du précédent empereur en 1848. Il y reste pendant 48 ans. Des capitaux britanniques ou français lui fournissent de quoi entreprendre la modernisation de l'empire (Chemin de fer, routes, industries, plantations) contre des avantages commerciaux sur des produits d'exportation. Ses politiques économiques et réformatrices suscitent beaucoup de mécontentement parmi plusieurs secteurs de la population d'hominines de la Perse qadjare. Tout aussi violent que ses prédécesseurs, il réprime par le sang et l'emprisonnement toutes les révoltes sociales et les contestations qui secouent son règne. Celleux qui possèdent, les qadjaristes, pourchassent celleux qui n'ont rien, ou si peu, les qadjariens. Mohammad Shah est assassiné en 1896 par un opposant à sa politique vis-à-vis des puissances européennes. ex-TapuriensLorsque les troupes armées d'Alexandre de Macédoine envahissent les terres au sud de la mer Caspienne au IVème siècle av. JC, la région est nommée Tapurie. Longue zone montagneuse qui longe la mer Caspienne, la Tapurie va être le lieu de naissance de plusieurs dynasties locales qui parviennent à résister longtemps à la mahométisation armée des tribus arabes. Devenue Tabaristan la Tapurie adopte finalement les nouvelles croyances mahométiennes. Hormis une dynastie qui adopte officiellement le zoroastrisme, toutes les autres se rattachent aux écrits mahométiens sunnites. Parmi la population d'hominines de Tapurie, il existe aussi de nombreuses communautés de mahométiens chiites, de différentes obédiences. Le Tabaristan est une véritable macédoine d'hominines aux langues et aux cultures diverses. Les multiples pratiques linguistiques des tapuriens constituent un groupe de "langues" séparé des groupes kurde et farsi. Outre les hominines locaux, beaucoup viennent du Caucase : géorgiens, arméniens, circassiens, juifs, etc. De par sa géographie côtière et montagneuse, le Tabaristan ex-Tapurie se différencie du reste de la Perse et conserve des particularités. Les pouvoirs politiques et les dynasties qui s'y développent maintiennent une certaine autonomie mais deviennent vassales des empires successifs qui l'entourent. Progressivement, entre le XVIème et le XVIIIème siècle, le Tabaristan est intégré à l'empire séfévide et redécoupé entre, de l'ouest à l'est, le Gilan, le Mazandaran et le Golestan. ExagèriensParmi les multiples "courants" qui existent au sein des mahométiens vont apparaître des formes extrémistes, dite ghulât qui signifie "exagéré"[6]. Grands utilisateurs de l'ijtihad[7], ces "exagèriens" sont régulièrement accusés d'avoir des interprétations trop symboliques qui réduisent finalement les restrictions religieuses à rien. Pour cela ils attendent quelques signes, notamment la venue d'un mahdi qui guidera le monde et annoncera la fin des temps ! Fiévreusement attendues, les apparitions régulières de mahdi auto-proclamés se transforment parfois en révoltes armées ou en soulèvements populaires[8]. Depuis l'apparition de cette religion, la question de la succession légitime du prophète divise la communauté des sectateurs. La majorité accepte la légitimité des dynasties arabo-tribales qui se répartissent l'héritage de l'inspiré Mahomet - désignée sous le vocable de sunnite - mais une partie la rejette et lui préfère celle des descendants d'Ali, le gendre du prophète. Ces alides sont généralement désignés par le terme de chiites et chaque nouveau prétendant légitime est nommé imam. Historiquement, les différends successoraux entre les imams ont engendré des scissions parmi les alides et l'impossibilité d'en trouver un[9] a été contournée en introduisant le concept d'occultation[10]. Le subterfuge consiste à décréter que le prétendant est volontairement caché en attendant de faire sa réapparition parmi les hominines en tant que mahdi et d'annoncer la fin des misères terrestres voulues par la cruelle divinité. D'ici-là, la communauté mahométienne doit être guidée soit par un religieux faisant office d'interprète des textes religieux, soit par une personne ayant un contact privilégié avec l'imam caché ou la divinité elle-même. HuisseriensEn 1843, l'agitation est à son comble parmi les exagèriens de Perse qadjare car, selon le calendrier mahométien[11], cette année 1260 correspond au millième anniversaire de l'occultation du douzième imam en 260 (873 ap. JC). Le shaykhisme[12], le mouvement exagèrien mystique fondé par Saykh Ahmad al Ahsa'i[13] au début du XIXème siècle, s'impatiente. La porteNé en octobre 1820 dans une famille marchande de Chiraz, Mirza Ali Mohammad[14] apprend à lire dès son plus jeune âge. Il s'intéresse au shaykhisme et fréquente assidûment les membres de la communauté mystique auprès de qui il se forge rapidement une réputation d'érudit. Après la mort du dirigeant du mouvement mystique, en 1844, Mirza Ali Mohammad fait partie des prétendants ; la question de cette succession est un sujet de discorde. Il ne fait pas consensus et la plupart des shaykhis ne lui reconnaissent aucune légitimité. La minorité qui le suit voit en lui ce qu'il prétend dorénavant être, le bab. Littéralement traduit par "entrée" ou "porte", le terme bab désigne ici celui qui se dit en lien avec l'imam caché ou la divinité, celui qui précède la venue du mahdi. Dix huit - dont une femme - de ses premiers sectateurs se font appeler les "Lettres du Vivant" et parcourent la Perse pour répandre la bonne nouvelle. Le Bab part à La Mecque pour le pèlerinage lors de l'hiver 1844 et en profite pour annoncer lui-même aux autres mahométiens la mission que la divinité lui a confié. Peu écouté, il retourne à Chiraz où la communauté des babis ne cesse de s'agrandir. Pour mettre fin aux affrontements réguliers entre babis et mahométiens dans les rue de Chiraz en 1844-1845 les autorités qadjares décident en septembre d'expulser les responsables babis et de mettre le Bab en résidence surveillée. Les motifs de ces affrontements sont les critiques sévères que le Bab adresse aux responsables du clergé, accusés de maintenir les croyants dans l'ignorance. Profitant d'une épidémie de choléra qui frappe la ville à l'été 1846, le Bab et quelques autres babis parviennent à s'échapper et s'installent à Ispahan où ils obtiennent la protection du gouverneur, un christien géorgien. Mais finalement, un an plus tard, le Bab est envoyé à la forteresse de Maku puis est transféré en avril 1848 à celle de Chariq, près du lac d'Urmia. En juillet, il est envoyé à Tabriz pour être examiné par des spécialistes des sciences religieuses qui doivent statuer sur son sort. Il est condamné à mort pour apostasie - la conversion d'un mahométien vers une autre religion. La sentence est mise en attente et le Bab est renvoyé à Chariq où il est torturé. Pendant sa détention à Maku, le Bab rédige un texte justificatif[15] et son œuvre principale le Bayan. Signifiant "Explication" dans la langue arabe, un premier Bayan est écrit en farsi par le Bab qui explique les fondements de la nouvelle révélation en plus de 8000 vers divisés en 9 chapitres, eux-mêmes subdivisés en 19 parties[16]. Tout en reconnaissant le caractère prophétique de Mahomet, il abroge certaines lois coraniques et en proclame de nouvelles. Il annonce aussi l'arrivée de "Celui que Dieu rendra manifeste", c'est-à-dire de celui qui viendra abroger la religion. Un second Bayan, plus court et en langue arabe, est rédigé par la suite. Lors de son séjour carcéral, le Bab écrit une lettre-testament dans laquelle il désigne Subh-e-Azal comme successeur[17]. Les portiersLes adeptes du Bab se multiplient et des communautés émergent à travers le territoire de l'empire qadjar, à Chiraz et Tabriz ainsi que dans le Mazandaran. Tous les lieux de résidence du Bab se transforment en point de convergence pour ses adeptes. Les "Lettres du Vivant" n'ont de cesse d'annoncer la nouvelle foi et de répandre les écrits de l'inspiré Bab. Plusieurs milliers de mahométiens, et quelques moïsiens et christiens, se convertissent pour la plus grande fureur des autorités religieuses mahométiennes. L'apostasie est chose sérieuse pour les mahométiens, tellement sérieuse qu'elle mérite la mort. En réponse aux agressions contre des babis, parfois des meurtres, les affrontements avec des mahométiens sont courants. Au cours de l'été 1848, environ 80 babis se réunissent au village de Badasht pour organiser l'évasion du Bab - seules deux des 18 "Lettres du Vivant" sont présentes - mais le projet est abandonné. Pendant trois semaines les adeptes discutent des écrits du Bab et abolissent progressivement les préceptes coraniques sur le jeun, la prière, le mariage, etc. Le babisme se démarque officiellement des mahométiens et se proclame nouvelle religion. Fatimih Baraghani[18] - l'unique femme des "Lettres du Vivant" - apparaît publiquement sans son voile que dorénavant elle rejette et déclare :
Sortie de gondsLa tradition mahométienne raconte que l'auto-désigné prophète Mahomet aurait dit que "des drapeaux noirs venus du Khorassan"[20] seraient l'un des signes d'une venue prochaine du mahdi et de l’éminence de la fin des temps. En juillet 1848, sur ordre du Bab, plus de 200 babis quittent la ville de Mechhed, dans le Khorassan perse, drapeaux noirs au vent. Leur but est de proclamer la mission du Bab et la nouvelle religion dans les villages croisés sur leur chemin et de libérer l'une des "Lettres du Vivant" emprisonnée. Ils sont rejoints par des adeptes du Bab et prennent le contrôle une partie du Mazandaran. Le 4 septembre 1848 l'empereur qadjar Mohammad Shah meurt de la goutte à Téhéran. Profitant du vide successoral, environ 300 babis attaquent la ville de Barfurus (actuel Babol) pour en faire la première cité-État babie mais, stoppés dans leur élan par des escarmouches avec l'armée, ils s'installent plus au sud dans le sanctuaire de Shaykh Tabari qu'ils fortifient. Plus de 300 adeptes du Bab arrivent en renfort. Dès octobre, l'armée fait le siège de la forteresse. La résistance s'organise mais le manque de nourriture vient à bout des babis retranchés. Se fiant à la promesse qui leur est faîte d'avoir la vie sauve s'ils se rendent, les babis acceptent une reddition le 10 mai 1849. Mais la promesse n'est pas tenue et la plupart des survivants sont exécutés par les militaires. Huit des dix-huit "Lettres du Vivant" font partie des morts. L'une d'elle est livrée en lynchage à la foule de Téhéran puis dépecée et démembrée. Au printemps 1850, à Téhéran, 38 babis sont arrêtés et inculpés de comploter contre l'empire qadjare. Sept sont exécutés. En mai 1850, des babis se retranchent dans la citadelle de la ville de Nayriz - dans la province du Fars - mais ne parviennent à résister que quelques semaines. Ils sont tous tués en juin. Courant mai, plusieurs centaines de babis prennent d'assaut la citadelle de Zanjan - dans la province d'Azerbaïdjan - et s'y retranchent. En représailles, la sentence de mort jusqu'alors mise en pause contre le Bab et les quelques babis emprisonnés avec lui est signée par les autorités qadjares. Certains optent pour la taqiya[21] pour échapper à la mort, en dissimulant leurs croyances et se prétendre mahométien. Le 9 juillet 1850, le Bab et l'un de ses adeptes sont envoyés devant un peloton d'exécution. Sans aide de leur divinité, ils en meurent. L'armée qadjare fait le siège de la citadelle de Zanjan jusqu'en décembre. Tous les survivants sont tués après leur reddition en janvier 1851. Le 15 août 1852, trois babis sont arrêtés à Téhéran lors d'une tentative d'assassinat contre l'empereur qadjar. Les représailles sont sanglantes. Dans plusieurs ville de l'empire, des milliers de babis sont massacrés, par l'armée ou par la foule. Jusqu'alors en résidence surveillée, la "Lettre du Vivant" Fatimih Baraghani[18] est assassinée par strangulation. En octobre 1853, une nouvelle tentative de tenir la citadelle de Nayriz se solde par la mort de tous les insurgés en décembre de la même année. L'ampleur de la répression fait réagir quelques intellectuels et politiciens d'Europe. La presse française et russe relaient les informations tragiques. En France, Arthur de Gobineau[22] fait paraître en 1865 Les religions et les philosophies dans l'Asie centrale[23] dans laquelle il relate l'histoire du babisme. Son approche est critiquée par A.L.M. Nicolas dans les écrits qu'il consacrera au babisme quatre décennies plus tard mais ils partagent le constat que le dégondage fut fatal à la Porte et que le babisme en sort très affaibli. Huis-closNotes
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