Esse longue (Lettre) : Différence entre versions
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− | Dans les différentes langues d'oïl, et singulièrement le francien, l'alphabet latin "classique" n'est plus adapté pour rendre toutes les sonorités et certaines graphies continuent à être source de confusion. Utilisés sans point, le "i" et le "j" sont difficilement discernables, tout comme le "u" et le "v". La difficulté est grande de parvenir à noter au mieux les sonorités et les subterfuges sont nombreux. Même dans les mots où elle est devenue muette, la lettre "s" est maintenue à l'écrit et plus tard remplacée par un accent circonflexe. Les graphies ∫ et ſ sont utilisées pour noter le son, ou son vestige, au début ou dans un mot mais la graphie en esse est parfois employée pour noter le "s" final et muet du pluriel. Les cursives carolines et gothiques sont les plus répandues dans les écrits poétiques, littéraires, savants ou religieux. Les ligatures entre deux lettres sont nombreuses ainsi que les abréviations, parfois un mélange des deux. L'esperluette &, par exemple, est une ligature de "e" avec "t", et l'on retrouve dans certains manuscrits "&c." pour noter l'abréviation "etc." de ''et cœtera''. Les nombreux manuscrits montrent clairement qu'il n'existe pas de norme quand à l'emploi de telle ou telle graphie de lettre. Un même texte peut comporter de fait plusieurs orthographes pour le même mot au fil des lignes et des pages. La difficulté avec la esse est qu'elle peut être prononcée ''ès'' ou ''ze'' suivant les lettres qui l'entourent. Hormis quelques exceptions, entre deux voyelles le son est similaire à celui de la lettre zède alors qu'il se prononce ''ès'' dans la plupart des autres cas. Si la lettre est doublée, la sonorité est aussi ''ès''. La complexité supplémentaire de la esse est qu'elle possède plusieurs graphies. Par exemple, le mot "connaissance" peut être écrit ''connai&# | + | Dans les différentes langues d'oïl, et singulièrement le francien, l'alphabet latin "classique" n'est plus adapté pour rendre toutes les sonorités et certaines graphies continuent à être source de confusion. Utilisés sans point, le "i" et le "j" sont difficilement discernables, tout comme le "u" et le "v". La difficulté est grande de parvenir à noter au mieux les sonorités et les subterfuges sont nombreux. Même dans les mots où elle est devenue muette, la lettre "s" est maintenue à l'écrit et plus tard remplacée par un accent circonflexe. Les graphies ∫ et ſ sont utilisées pour noter le son, ou son vestige, au début ou dans un mot mais la graphie en esse est parfois employée pour noter le "s" final et muet du pluriel. Les cursives carolines et gothiques sont les plus répandues dans les écrits poétiques, littéraires, savants ou religieux. Les ligatures entre deux lettres sont nombreuses ainsi que les abréviations, parfois un mélange des deux. L'esperluette &, par exemple, est une ligature de "e" avec "t", et l'on retrouve dans certains manuscrits "&c." pour noter l'abréviation "etc." de ''et cœtera''. Les nombreux manuscrits montrent clairement qu'il n'existe pas de norme quand à l'emploi de telle ou telle graphie de lettre. Un même texte peut comporter de fait plusieurs orthographes pour le même mot au fil des lignes et des pages. La difficulté avec la esse est qu'elle peut être prononcée ''ès'' ou ''ze'' suivant les lettres qui l'entourent. Hormis quelques exceptions, entre deux voyelles le son est similaire à celui de la lettre zède alors qu'il se prononce ''ès'' dans la plupart des autres cas. Si la lettre est doublée, la sonorité est aussi ''ès''. La complexité supplémentaire de la esse est qu'elle possède plusieurs graphies. Par exemple, le mot "connaissance" peut être écrit ''connaiʃance'', ''connai∫∫ance'', ''connai∫sance'' ou ''connaiſſance''. La standardisation progressive du moyen français ne met pas fin à ces pratiques multiples. |
== Ligatures == | == Ligatures == |
Version du 8 août 2021 à 13:39
Esse longue. Lettre abandonnée de l'alphabet latin, utilisée pour noter l'actuelle s minuscule. Elle est notée ſ ou ∫.
ProfondeursCela fait maintenant plus d'une centaine de millénaires que les hominines[1] utilisent le langage articulé pour communiquer ensemble. Pour se faire, il leur a fallu détourner de leurs fonctions premières les organes buccaux et la gestion de la respiration. En effet, la parole n'est pas une fonction biologique en tant que telle, mais une adaptation puis une apprivoisement d'une configuration anatomique particulière[2]. Un peu comme les plumes qui n'ont pas d'autre fonction première que la régulation thermique chez certains dinosaures terrestres et qui, au fil de l'évolution, sont devenues un artifice indispensable au vol pour la quasi totalité des oiseaux ou une pure décoration encombrante qui empêche tout vol chez le paon. Même si le langage articulé est devenu une caractéristique des hominines, tout comme le vol pour les oiseaux, il n'en reste pas moins que l'absence de capacité de langage articulé chez des individus, pour diverses raisons, ne fait pas moins être hominine. L'impossibilité de vol chez le pingouin ou l'autruche n'en font pas moins des oiseaux. Les grands singes et les chimpanzés — la cousinade des hominines — ne disposent pas de langage articulé pour communiquer alors qu'illes possèdent la capacité anatomique de produire toutes les voyelles. À contrario, des perroquets sont en capacité de reproduire plus d'une centaine de mots, de les utiliser à bon escient et d'en comprendre jusqu'à plusieurs centaines, sans disposer d'une anatomie permettant un langage articulé. Par simple imitation. De la même manière, l'existence de langues sifflées[3] parmi certaines populations d'hominines n'en fait pas pour autant des oiseaux. L'apparition des premiers langages articulés chez les hominines reste encore un mystère pour les spécialistes du sujet et leur oralité rend impossible d'en savoir plus. Le mythe christien[4] de la Tour de Babel[5] qui proclame une origine commune de toutes les langues des hominines est aujourd'hui largement remis en cause par la paléolinguistique. Jugé trop simpliste, il est maintenant évoqué la possibilité de plusieurs foyers d'apparition de langues articulées indépendamment les unes avec les autres. Les langues les plus anciennes dont nous disposons de traces sont datées du quatrième millénaire avant JCⒸ[6] : L'écriture cunéiforme[7] pour noter le sumérien et hiéroglyphique[8] pour l'égyptien. Employé pendant plusieurs millénaires et adapté pour noter plusieurs langues du sud-est méditerranéen, le cunéiforme disparaît dans les premiers siècles après la pseudo-naissance de Jésus. À partir de l'écriture hiéroglyphique apparaissent les premières formes alphabétiques pour transcrire des langues de la région, vers 2000 ans avant lui selon les datations les plus anciennes. Seules les consonnes sont notées par la langue phénicienne, parlée dans l'actuel Proche-Orient. Pour cela, cette écriture consonantique reprend le premier son du nom représenté par le hiéroglyphe. Ainsi le caractère retenu pour noter le son "esse" s'inspire du hiéroglyphe symbolisant une dent car dans la langue phénicienne "dent" se dit "sin". Le premier alphabet phénicien comporte 22 caractères. Grâce à l'importance des cités-États phéniciennes dans cette région orientale de la Méditerranée, cette méthode simplifiée et facile à apprendre se diffuse largement parmi d'autres populations d'hominines qui l'adaptent à leur propre langue vers le IXème siècle avant JCⒸ. De cet alphabet phénicien, dans la partie sud-méditerranéenne, dérivent les alphabets araméen, hébreu, syriaque, nabatéen et, de ce dernier, l'alphabet arabe[9]. Dans la partie nord, l'étrusque, le celtibère et le grec adoptent et adaptent cette notation alphabétique à leurs besoins. Très peu utilisée jusqu'alors, la notation des voyelles est nécessaire pour ces langues. Si le celtibère a disparu, cet ancien alphabet grec a donné ce qui deviendra d'une part l'alphabet grec classique, dont dérive le cyrillique, et d'autre part l'étrusque. De ce dernier dérive l'alphabet latin qui comporte alors une vingtaine de lettres.
FormesLe tracé de chaque lettre de l'alphabet latin se normalise très lentement. Les cursives dites "capitales" sont employées dans la plupart des échanges commerciaux ou officiels du centre de la péninsule italique. Elles ornent les bâtiments officiels. Utilisées par l'administration de l'empire de Rome entre le Ier siècle avant JC et le IVème siècle après, elles sont concurrencées par les cursives dites "minuscules". Apparues probablement vers le IIème siècle avant l'autoproclamé messie, elles sont plus adaptées à l'écriture manuscrite. Il n'y a pas de norme véritable et la forme de certaines lettres prête à confusion. Les mots ne sont pas séparés par une espace[10] et les lettres ne sont pas jointes, hormis quelques lettres réunies entre elles lorsqu'elles sont côte à côte, ce que l'on appelle des ligatures. Par l'existence de deux formes différentes — minuscule et capitale — pour la même lettre, l'alphabet latin se structure pour devenir une écriture bicamérale. Cette cursive romaine subit quelques modifications au cours des siècles afin d'en améliorer la lisibilité. Le "b" et le "d" se différencient plus facilement mais le "a" et le "v" se ressemblent fortement avec une forme en "u", tout comme la "r" et la "s" qui ont des graphies proches. Dans cet alphabet latin de 20 lettres, celles-ci se nomment selon la sonorité de la première lettre de son nom grec. Le sigma grec est une esse latine. Lorsque l'empire romain se disloque dans le courant du Vème siècle, la cursive romaine est largement utilisée dans les territoires devenus indépendants. Mais la norme est relative car des variantes sont présentes. Les principales graphies qui s'imposent sont la wisigothique dans la péninsule ibérique, l'insulaire en Grande-Bretagne et la mérovingienne dans les territoires de l'ouest européen sous domination des royaumes francs. En dépit des efforts de la dynastie franque mérovingienne de la fin du Vème au milieu du VIIIème siècle, l'écriture mérovingienne n'est pas uniforme et comporte plusieurs variantes mais elles sont assez proches. Les ligatures sont nombreuses et les mots sont rarement séparés. Alors que globalement la cursive capitale est peu modifiée, la minuscule mérovingienne se transforme et se diffuse à travers l'ouest européen[12]. Afin de limiter des erreurs, de faciliter son apprentissage et d'étendre son utilisation, les successeurs des mérovingiens — les carolingiens — réforment les usages à la fin du VIIIème siècle et favorisent de nouvelles normes graphiques pour les lettres[13]. L'expansion du royaume franc à presque toute l'Europe de l'ouest à la fin du VIIIème siècle est un facteur important de la diffusion de la minuscule caroline à travers cette partie du continent. Le processus de "normalisation" n'est pas une décision politique carolingienne[14] mais un ensemble complexe de mises en forme dans les milieux érudits de l'empire carolingien, le résultat du large réseau d'écoles et de monastères qui enseignent les matières utiles ou diffusent les mythologies des christiens. Une macédoine de graphies. Les scribes font des choix individuels et les échanges incitent à une normalisation des graphies afin de faciliter l'intercompréhension. Il n'y a pas une unique graphie caroline pour l'alphabet latin mais de multiples variantes mineures. Certaines conservent des ligatures que d'autres abandonnent, certaines utilisent des graphies différentes pour les mêmes lettres. Héritière du ∫ latin, la forme actuelle de la lettre "s" est employée en parallèle de la forme ſ. Le point de séparation ou une espace entre deux mots sont de plus en plus courants. L'éclatement de l'empire carolingien dans le milieu du IXème siècle entre trois prétendants aboutit à la création des royaumes de Francie occidentale, médiane et orientale. Le pouvoir échoit à différentes branches de la noblesse franque. Dès le début du Xème siècle, la Francie orientale n'est plus sous la direction d'une quelconque branche de l'aristocratie franque mais passe sous celle d'une dynastie saxonne, les ottoniens. À partir de la fin du Xème siècle, la Francie occidentale est dirigée par Hugues Capet dont la branche — capétienne — régnera pendant plusieurs siècles. La Francie médiane est rapidement divisée entre trois prétendants qui obtiennent les royaumes d'Italie, de Provence et de Lotharingie. L'utilisation de la cursive caroline recule à partir du XIIème siècle et laisse place à d'autres cursives, la gothique par exemple. Elle revient en force dans le milieu du XVème siècle lorsqu'elle sert de référence pour l'imprimerie naissante car des érudits pensent voir en elle — à tort — l'écriture latine type. La typographie s'inspire de la cursive caroline pour la forme des lettres à imprimer en minuscules et, pour les majuscules, de la cursive romaine dite capitale. UsagesLangue officielle, le latin est employé dans les échanges administratifs et les textes "savants" qui circulent au sein de l'empire et reste, après sa chute, la référence pour les différentes dynasties qui se partagent son territoire. Dans les siècles qui suivent l'éclatement de l'empire romain la situation linguistique est complexe. La langue administrative et savante est latine, les aristocraties sont d'ascendance germanique et les populations d'hominines qu'elles dirigent ont des pratiques linguistiques différentes — ni latines, ni germaniques — selon les régions. Parmi les populations latinisées du sud et de l'ouest du sous-continent européen, le latin "populaire" se différencie de plus en plus du latin classique. Daté du 14 février 842, le Serment de Strasbourg[15] est le plus ancien texte bilingue connu écrit, avec un alphabet latin, dans une langue latine et une germanique. Signées par les deux futurs dirigeants des royaumes de Francie occidentale et orientale, tout deux petits-fils et héritiers de Charlemagne, la partie latine est destinée aux troupes du premier et la seconde à celles de son frère. Le latin utilisé dans ce texte est clairement une forme singulière de cette langue, ce qui, selon nombre de spécialistes de ce sujet, est un fait marquant dans l'apparition des langues gallo-romanes dans la partie nord de la France et le sud de la Belgique actuelles. Par la suite appelées langues d’oïl[16], elles se différencient d'autres zones latinisées plus au sud où sont pratiquées les langues d'oc[17] et les langues de si[18] — respectivement dans la partie sud de la France et nord de l'Italie actuelles — différenciées par leur manière propre de dire "oui". Au delà de ces classifications affirmatives, les processus qui menèrent au remembrement linguistique de la zone d'influence latine dans toute l'Europe occidentale ne sont pas clairement identifiés pas les linguistes et autres paléographes. Les débats sont vifs et les enjeux politiques. Jusqu'au XIVème siècle, les langues d'oïl interagissent entre elles et certaines disposent même de littératures savantes et religieuses, mais à partir du siècle suivant l'une d'elles va s'imposer aux autres. Centre du pouvoir de l'ancienne Francie occidentale devenue depuis royaume de France, la région autour de Paris est le lieu où se forge les prémisses d'une langue standardisée. Largement nourri par les autres langues d'oïl, le francien fait place au moyen français[19]. Langue de cour, il est fait langue de prestige et de pouvoir. Loin des pratiques "populaires", une standardisation s'opère pendant plusieurs siècles sous l'influence de lettrés. Plutôt que puiser dans le vocabulaire des langues d'oïl, il est souvent préféré des étymologies grecques ou latines pour finaliser l'orthographe des mots. De nouvelles règles d'usages sont édictées.
Dans les différentes langues d'oïl, et singulièrement le francien, l'alphabet latin "classique" n'est plus adapté pour rendre toutes les sonorités et certaines graphies continuent à être source de confusion. Utilisés sans point, le "i" et le "j" sont difficilement discernables, tout comme le "u" et le "v". La difficulté est grande de parvenir à noter au mieux les sonorités et les subterfuges sont nombreux. Même dans les mots où elle est devenue muette, la lettre "s" est maintenue à l'écrit et plus tard remplacée par un accent circonflexe. Les graphies ∫ et ſ sont utilisées pour noter le son, ou son vestige, au début ou dans un mot mais la graphie en esse est parfois employée pour noter le "s" final et muet du pluriel. Les cursives carolines et gothiques sont les plus répandues dans les écrits poétiques, littéraires, savants ou religieux. Les ligatures entre deux lettres sont nombreuses ainsi que les abréviations, parfois un mélange des deux. L'esperluette &, par exemple, est une ligature de "e" avec "t", et l'on retrouve dans certains manuscrits "&c." pour noter l'abréviation "etc." de et cœtera. Les nombreux manuscrits montrent clairement qu'il n'existe pas de norme quand à l'emploi de telle ou telle graphie de lettre. Un même texte peut comporter de fait plusieurs orthographes pour le même mot au fil des lignes et des pages. La difficulté avec la esse est qu'elle peut être prononcée ès ou ze suivant les lettres qui l'entourent. Hormis quelques exceptions, entre deux voyelles le son est similaire à celui de la lettre zède alors qu'il se prononce ès dans la plupart des autres cas. Si la lettre est doublée, la sonorité est aussi ès. La complexité supplémentaire de la esse est qu'elle possède plusieurs graphies. Par exemple, le mot "connaissance" peut être écrit connaiʃance, connai∫∫ance, connai∫sance ou connaiſſance. La standardisation progressive du moyen français ne met pas fin à ces pratiques multiples. LigaturesDisparitionsNotes
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