Louis Chave : Différence entre versions

De wikimerdja
Sauter à la navigation Sauter à la recherche
Ligne 63 : Ligne 63 :
 
== Déchaînement ==
 
== Déchaînement ==
  
Face à cette mise à mort, Louis Chave est décidé à réagir rapidement. Mêlant la comptine "''On pendra le dernier curé avec les tripes du dernier patron...''" et la loi religieuse qui proclame "''Œil pour œil, dent pour dent''"<ref>Dans le roman ''La Bible'' (Exode 21, 23-25)</ref>, il envisage de se venger de ces fanatiques religieuses et esclavagistes.
+
En réaction à cette mise à mort, Louis Chave est décidé à réagir rapidement. Avec en tête la comptine "''On pendra le dernier curé avec les tripes du dernier patron...''", il envisage de se venger de ces fanatiques et esclavagistes. Et la vengeance sera à hauteur du crime. "''Œil pour œil, dent pour dent''"<ref>Dans le roman ''La Bible'' (Exode 21, 23-25)</ref> comme disent les religieuses. Dans la matinée du 24 février 1884, Louis Chave poste deux lettres. L'une est adressée à sa mère à Gignac, l'autre à lui-même à l'adresse du couvent de la Serviane. Dans la première, il explique sa situation de misère et justifie son projet de vengeance à venir. Une lettre d'adieu. La seconde lui sert de prétexte pour retourner au couvent quelques jours plus tard.
 +
 
 +
<blockquote>''Quand on a dit à une femme : Madame, si vous me mettez à la porte, pour moi c'est le suicide, c'est la mort, et que cette femme sans entrailles, sans cœur, pourrie par tous les vices, ne tient aucun compte de cela, et avec gaîté de cœur et sans motif justifié condamne un homme à la mort, il est juste et raisonnable que cet homme, avant de mourir, ait au moins la satisfaction de la vengeance; d'ailleurs je rendrais un service à la société et j'accomplirais un grand devoir.''</blockquote>
  
 
== Notes ==
 
== Notes ==
 
<references />
 
<references />

Version du 19 avril 2021 à 20:38

Louis Chave. Anti-esclavagiste éphémère.


[En cours de rédaction]


Chaîne de l'Estaque

Vestige géologique, la chaîne montagneuse de l'Estaque s'étend sur presque trente kilomètres entre, d'est en ouest, le quartier nord-marseillais de l'Estaque et la ville de Martigues. Elle est parfois aussi appelée chaîne de la Nerthe, en référence au hameau du même nom dans le nord-ouest marseillais. Elle forme un isthme large de moins de dix kilomètres entre la mer Méditerranée et l'étang de Berre[1]. Elle culmine à 278 mètres d'altitude. Son flanc méditerranéen est constitué de falaises escarpées dont certaines sont percées de calanques, sortes de vallons donnant directement sur la mer. Le nord de la chaîne de l'Estaque débouche sur des plaines, puis des zones marécageuses à proximité de l'étang. Formant une lagune séparée de la mer Méditerranée, l'étang de Berre est une vaste étendue d'eau salée de 15000 hectares alimentée en eau douce par quelques rivières et profonde au maximum de neuf mètres. La présence des hominines[2] est attestée, autant sur les flancs méditerranéens ou berriens de la chaîne de l'Estaque, depuis des millénaires par des fouilles archéologiques[3]. Le pourtour de l'étang est propice à l'agriculture, à la pêche et à l'extraction de sel. Dès les premiers siècles après JC[4], les hominines ont tenté de faire communiquer l'étang de Berre avec la mer Méditerranée, séparés par le petit étang de Caronte et ses îlots.

Carte postale de l'étang de Berre en 2020

L'habitat des hominines entre les rives sud de l'étang de Berre et le nord de la chaîne de l'Estaque est, au fil des siècles, devenus pérenne. Les agglomérations se sont faites urbaines. Les villes côtières de Martigues, de Marignane et Vitrolles sont les plus grandes et les plus connues d'entre elles. Dans les zones de plaines, se développent de petits villages, tel Chateauneuf-les-Martigues, Le Rove ou Gignac, dont l'activité économique est plus tournée vers l'agriculture. Dès le début du XIXème siècle, le pourtour de l'étang de Berre est un lieu d'implantation de sites de l'industrie chimique[5]. Obtenu à partir de sel marin par des procédés chimiques polluants, le carbonate de potassium est alors un incontournable pour les industries textiles et la fabrication du savon. La production d'acide chlorhydrique est un facteur important du recul des terres cultivables. Déjà en 1830, les hominines de la région protestent contre les nuisances de cette industrie qui est la cause de nombreuses morts prématurées d'hominines et d'animaux d'élevage, ainsi que de la pollution des terres agricoles. Le creusement de l'étang de Caronte et la destruction de quelques-unes de ses îlots permet, en 1863, d'en faire un canal qui relie directement l'étang de Berre à la mer Méditerranée. Un pas est franchi pour faire des rives de l'étang la plus vaste zone de pollution industrielle de la région.

Gignac

Initialement rattaché à la seigneurie de Marignane, le village de Gignac devient une commune avec l'instauration de la république en France à la fin du XVIIIème siècle. Elle comprend Gignac, Le Rove et Ensuès qui ne seront établis en communes distinctes que dans les premières décennies du XIXème pour Le Rove et du XXème pour Ensuès-la-Redonne. La vaste plaine entre Chateauneuf-les-Martigues et Gignac est une zone d'agriculture où le blé, l'olivier et la vigne sont exploités pour l'exportation vers les centres urbains alentours, tel Marseille. Au XIXème siècle, l'industrialisation grandissante de cette capitale régionale entraîne son essor démographique et une nécessité permanente de main-d'œuvre pour travailler dans les ateliers ou au port, qui reste son activité principale. L'activité agricole dans la plaine châteaunevo-gignacaise emploie de très nombreux journaliers locaux et des hominines venus d'autres pays.

Louis Chave naît le 12 avril 1862[6] dans l'ancien quartier des Maisons Neuves à Gignac. Son père, Noël Chave, est un agriculteur né à Septèmes à quelques kilomètres à l'est, et sa mère, Henriette Gouiran, originaire de Gignac, est couturière. Après leur mariage en septembre 1858, le couple d'hominines s'installe dans le centre de Gignac. Outre une sœur aînée, Louis Chave a deux frères et deux sœurs plus jeunes que lui, nés entre 1864 et 1871[7]. Noël Chave est employé en tant que cantonnier communal dans le début des années 1860 puis devient chiffonnier dans les premières années de la décennie suivante. Sans doute accaparée par l'élevage des six enfants, Henriette Chave se dit sans profession lors du recensement de 1864 avant de se déclarer, elle-aussi, chiffonnière. En parallèle de ces activités, le couple d'hominines s'occupe de maintenir une agriculture domestique pour subvenir à leurs besoins, ceux de leurs enfants et du grand-père maternel qui vit avec elleux. Lorsque Noël Chave décède prématurément le 13 mai 1872, Henriette Chave se retrouve seule avec à sa charge six enfants, âgés de 1 à 11 ans, et son père presque octogénaire. Louis Chave est alors âgé de 10 ans.

Chaînes marseillaises

Les autres chaînes qui entravent les hominines sont les institutions religieuses. Malgré les critiques ouvertes et la perte progressive de son pouvoir au cours du XIXème siècle, la religion reste ancrée parmi les hominines. Outre les lieux de culte, de moins en moins fréquentés, elle est présente dans les œuvres caritatives et les ordres monastiques. Afin de "sauver leur âme" et d'empêcher le déclin de la religion, les hôpitaux et les orphelinats sont pour leurs adeptes des lieux privilégiés pour conserver une emprise de la mythologie christienne sur les hominines. Grace à l'aide financière des institutions religieuses et de riches familles christiennes, la charité est une œuvre de propagande. En contrepartie d'une éducation ou de soins, les enfants, les misérables et les malades sont contraints d'écouter les élucubrations religieuses et d'ingurgiter la moralité des christiens.

La bouse de vache est plus utile que les dogmes. On peut en faire de l’engrais.[8]

Dressage de main-d'œuvre

Il est difficile de cerner les années de jeunesse de Louis Chave, tant les archives disponibles ne sont pas totalement cohérentes. Les sources judiciaires et journalistiques indiquent qu'il est envoyé dans un pensionnat d'Aix-en-Provence[9], avant d'être placé dans un établissement religieux de Marseille accueillant des enfants pauvres, orphelins de père ou de mère, "sains de corps et d'esprit", âgés de 7 ans révolus et de moins de 11 ans. Les méthodes éducatives sont faîtes de brimades et de sermons. La tenue obligatoire est un uniforme bleu avec une étoile blanche. Selon l'encart publicitaire de L'indicateur marseillais, les orphelins sont placés en apprentissage à leur quatorzième année. L'Œuvre des enfants de la providence dit Enfants de l’Étoile[10] gère ainsi l'éducation de quelques 150 enfants, lesquels sont régulièrement employés pour accompagner les enterrements et faire nombre lors des processions. De manière générale, les orphelinats et les prisons pour enfants administrés par des associations ou des institutions religieuses permettent de former et de fournir de la main-d'œuvre à destination d'entreprises locales ou de l'entretien des élites[11]. Les jeunes hominines mâles seront ouvriers ou domestiques, par exemple, les femelles seront couturières ou cuisinières. À ses quatorze ans, en Louis Chave entame son apprentissage. Il sait lire et écrire. Le recensement à Gignac de 1876 le mentionne, en tant que cultivateur, avec sa mère, son jeune frère et sa sœur la plus jeune. Sa sœur aînée ainsi que sa sœur Julia et son frère Martin n’apparaissent plus. Peut-être ont-illes été aussi placé dans un orphelinat ? Louis Chave a-t-il réellement terminé son apprentissage ou est-il retourné à Gignac pour aider sa mère ? Lors du recensement de 1881, il est indiqué que la mère vit avec sa fille aînée, de retour et devenue couturière, et avec Louis, toujours cultivateur. Le restant de l'adelphie n'est plus présente. Là encore à l'orphelinat ? L’activité de chiffonnière de la mère Gouiran veuve Chave n'est sans doute pas suffisante pour subvenir aux besoins de l'ensemble des enfants. Louis est d'ailleurs dispensé en 1882 de son service militaire obligatoire dans l'infanterie au motif qu'il est "fils aîné d'une veuve"[12]. Cette dispense exclue donc l'hypothèse qu'il ait pu servir dans l'armée coloniale française au Tonkin et en Tunisie, comme l'affirme un historien et biographe de la future patronne de Louis Chave[13]. La fiche militaire donne de rares indications physiques sur Louis Chave, le décrivant brun aux yeux gris et mesurant 1,66 mètres, "robuste et portant une légère moustache"[14] selon la presse locale[15].

Chaînes bucco-rhodaniennes

L'échec des différentes tentatives de proclamer des Communes autonomes dans plusieurs villes de France[16], dont Marseille[17], et leurs répressions sanglantes n'ont pas empêché que les idées révolutionnaires se diffusent dans la seconde moitié du XIXème siècle, dans un contexte d'industrialisation, d'essor urbain et d'exode rural. Les usines et les ateliers, toujours plus grands, toujours plus nombreux, attirent moult hominines qui viennent y vendre leur force de travail pour échapper à la misère quotidienne. Les conditions de travail et l'exploitation économique n'ont rien à envier à celles des hominines travaillant dans l'agriculture ou l'élevage en périphérie des zones urbaines. Les salaires sont médiocres et les emplois incertains. L'esclavage se modernise[18]. Les protestations se manifestent dans des journaux et des associations d'hominines qui soutiennent et participent à des pétitions, des blocages ou des grèves. Le panel politique de cette presse et de cet activisme révolutionnaire va des socialistes réformateurs aux anarchistes, en passant par les marxistes ou les socialistes radicaux. Les grilles de lecture et les modes opératoires pour se sortir de la misère et de l'exploitation sont très différents. Là où la patience active est défendue par les plus tièdes — le réalisme —, l'impatience se fait action pour celleux qui refusent d'endurer une minute de plus leurs conditions de vie déplorables — la réalité. L'expression radicale de ce refus opte pour des formes de violence contre les biens et les personnes.

L'immigration venant d'Italie est importante à Marseille et alentour. Main-d'œuvre bon marché, ces hominines viennent travailler dans les activités portuaires et l'agriculture, illes sont la variable d'ajustement des besoins grandissants de l'économie de la région. Même si beaucoup s'installent, les tensions entre les "communautés" françaises et italiennes ne sont pas toujours apaisées et tournent parfois aux lynchages[19]. Les registres d'état civil de plusieurs villes et villages de la chaîne de l'Estaque, de Marseille à Martigues, montrent que les hominines originaires d'Italie représentent une forte proportion de la population. Parmi elleux, quelques anarchistes.

Saint-Pierre-les-Martigues

Les grands propriétaires disent qu'il manque des bras à la campagne ; il est incontestable que le paysan est forcé d'émigrer dans les villes, puisque en fouillant le sol pour un maître, comme un esclave, on ne lui donne pas un salaire suffisant pour le préserver de crever de faim. Que l'on fasse une statistique de la moyenne de sa journée, pour savoir avec quel salaire il est forcé de se nourrir, en tenant compte du chômage qui est bien plus écrasant que celui de certains ouvriers. Il pleut — il ne fait rien ; la terre est trop humide — on le renvoie au lendemain; il tombe de la neige — il faut attendre qu'elle fonde; il fait mauvais temps — il ne peut résister à langueur de la tempête; en attendant, il faut toujours manger. Et, quand on vit au jour le jour, combien y en a-t-il, qui, pendant ce terrible chômage, manquent d'un morceau de pain de seigle ou de quelques pommes de terre pour se les mettre sous la dent.[20]

Le recul de la pêche, l'exode rural et l'extension des exploitations agricoles sont quelques uns des facteurs de l'appauvrissement des populations paysannes de la plaine chateaunovo-gignacaise contraintes d'accepter les conditions de travail et les salaires de misère. Après le retour de Séverin Féraud d'une réunion internationale en Suisse[21], un petit groupe d'anarchistes de la région publie le 16 août 1882 le premier numéro du journal Le paysan révolté[22]. Du hameau de Saint-Pierre-les-Martigues, à l'ouest de la chaîne de l'Estaque, au sud de Martigues, l'anarchiste Séverin Féraud[23] donne le ton dans un article publié dans le journal anarchiste lyonnais L’Étendard révolutionnaire[24] : "Paysans, occupons-nous à nous procurer des matières explosibles pour détruire les repaires où logent les voleurs de notre récolte, qui ont encore l'audace de s'intituler nos bourgeois. Faisons disparaître par tous les moyens l'exploitation et par le feu cette caste monstrueuse qui vit dans les jouissances de notre travail." L'autre hominine à apparaître nommément est Sauveur Couloubrier[25], le correspondant à Marseille. Imprimé dans cette ville par Joseph Doucet[26], le journal n'existe que le temps de deux autres numéros, datés des 1er et 15 septembre 1882. L'interruption de la parution du journal n'est pas synonyme d'inactivité. Dans un article publié en décembre 1883 dans le journal L’Émeute[27] de Lyon, les anarchistes de la plaine rappellent que "le groupe le Paysan révolté se prépare à une étude de destruction complète pour en arriver bientôt à une prompte révolution. Il s'agit d'étudier les moyens de réussite pour mettre le feu partout où ses moyens le permettront. Les membres de ce groupe se dirigeront principalement dans les grandes villes pour incendier toutes les institutions qui sont nuisibles à la classe des déshérités. Et à défaut de pouvoir choisir, de réduire en cendre tout ce qui nous opprime, ils mettront plutôt tout en flamme, tant qu'il y aura pierre sur pierre. Dans notre prochaine correspondance, nous ferons connaître notre plan pour que tous ceux que cela intéresse s'y associent". Le projet est clair. Et les frontières toujours aussi poreuses entre nihilisme, anarchisme et individualisme, proches comparses de la révolte. Le groupe n'est pas isolé, en lien avec d'autres groupes anarchistes à Marseille dont le ton est tout aussi enflammé[28]. En 1884 paraît la première brochure du paysan révolté, intitulée Phraseurs et prolétariat[20] et signée Séverin Féraud, dans laquelle il décrit les conditions de vie des hominines dans l'agriculture périurbaine, sensiblement différentes de celles des hominines en contexte urbain. Mais le but est commun : la destruction de toutes les formes d'exploitation.

Gignac

Impossible de retracer les méandres qui menèrent Louis Chave vers l'anarchisme. La présence des anarchistes est visible à travers les manifestations, les réunions publiques et les journaux. Ceux-ci circulent à travers le territoire français et échangent des analyses et des informations pratiques. Louis Chave est lecteur par exemple du journal anarchiste Le Défi[29] de Lyon. Le ton des articles est explicitement en faveur d'une utilisation de forme de violence pour mettre fin à la misère et à l'exploitation. Non pas une violence aveugle ou collective mais ciblée et individuelle. Que les notables, les riches et leurs suppôts payent l'addition. "Ni dieu. Ni maître. Ni garde-champêtre"[30]. Que leurs biens s'envolent en fumée. Son prédécesseur, le journal La Lutte[31] propose une excellente rubrique "Produits anti-bourgeois" dans laquelle sont expliquées différentes utilisations de "matières explosibles et inflammables les plus connues, les plus faciles à manipuler et à préparer, en un mot les plus utiles." En cette fin de XIXème siècle, les occasions sont multiples pour un jeune hominine de Marseille de rencontrer l'anarchisme. Tout aussi multiples que les raisons. Des célébrations de la Commune à la manifestation en solidarité avec une révolutionnaire russe en 1881, de la venue de Louise Michel aux grèves sur le port ou dans les ateliers, les protestations contre la répression, Louis Chave a pu croiser la route de l'anarchisme tout au long de sa jeunesse marseillaise. Probablement entre 1880 et 1882, de compagnon de misère, il se fait compagnon de lutte. Dans ce cas, il rencontre Séverin Féraud alors que le projet de publier Le Paysan révolté est encore en gestation. Louis Chave participe à un petit groupe d'anarchistes qui se désignent "Paysans révoltés" comme le précise un article signé ainsi : "[...] Notre ami. Le compagnon Louis Chave. Ce vaillant anarchiste qui habitait notre région, faisait partie de notre groupe"[32]. Mais rien de précis quand à ses activités au sein des "Paysans révoltés". Peut-être ne fait-il leur rencontre qu'à partir de 1883 lorsqu'il recherche un emploi à Marseille et non pas dans les plaines de la chaîne de l'Estaque ? Rien ne permet d'en dire plus. Louis Chave vit pauvrement, "réduit à boire de l'eau et à rogner sur la nourriture"[33] selon ses propres dires, et parvient très difficilement à préserver sa mère de la misère.

La Valentine

Aujourd'hui synonyme de zone commerciale, et avant qu'il ne devienne un quartier marseillais, La Valentine est à la fin du XIXème siècle un petit village d'environ 500 hominines. Situé sur la rive droite de l'Huveaune, il est à 10 kilomètres du centre-ville de Marseille et du port. Au nord, le village Les Trois-Lucs et à l'est, Les Accates. L'ouverture vers 1850 du long et sinueux canal de 80 kilomètres qui relie la Durance à la ville de Marseille — pour son alimentation en eau — en passant par la Valentine, améliore l'irrigation pour l'agriculture et l'utilisation de la force hydro-motrice pour les industries. Outre le village à proprement dit, la commune est parsemée de propriétés aux vastes terrains, appartenant à de riches familles d'hominines de la région marseillaise.

Reluquage de reliques...[34]

Au nord-ouest de La Valentine, sur la route qui mène au village de Saint-Julien, la demeure de la Serviane et ses dizaines d'hectares environnant sont la propriété de la famille Deluil-Martiny. Entouré d'oliviers et de champs de blé, le lieu est une résidence secondaire pour cette riche famille de christiens marseillais. Marie Deluil-Martiny naît en 1841 sur le haut de la Canebière, dans le centre de Marseille. Encouragée par un environnement familial très porté sur la chose religieuse, la jeune hominine perd progressivement pied avec la réalité et s'enfonce dans les croyances les plus absurdes. Après une première tentative avec la Garde d'honneur du Sacré-Cœur, elle met en place la Société des Filles du Sacré-Cœur dont les membres sont chargées de se relayer pour prier en permanence devant des reliques religieuses. La sœur Marie est une vraie fanatique. Elle pense qu'il est nécessaire qu'une prière continue soit dite pour réparer les offenses faîtes au prophète Jésus aka Christ. Possédée, dans un style à rendre jaloux Gilles Deleuze tant cela est incompréhensible, uniquement destiné aux adeptes, elle écrit que "chaque battement de nos cœurs devrait être un acte d’offrande de Jésus et d’union à son Sacrifice perpétuel pour la gloire du Père. Cachés, perdus en Jésus-Christ, revêtus de Jésus-Christ, tellement unis à Jésus-Christ, que sa vie devienne notre vie, voilà ce que nous devrions être pour atteindre la fin du Sacrifice de Jésus" ![35] Dans son délire, elle affirme qu'il serait mort pour racheter les mauvaises actions de hominines ! Aidée par les finances familiales et la bénédiction des autorités religieuses, Marie Deluil-Martiny décide d'ouvrir un couvent dédié à la prière et régi par les règles de la Société des Filles du Sacré-Cœur. Cédé par ses parents, le domaine de la Serviane est le lieu choisi par la fanatique pour canaliser ses fièvres religieuses. Le couvent est officiellement ouvert en 1879. Il accueille exclusivement des hominines femelles issues de riches familles. Si Marie Deluil-Martiny est fille d'avocat et homme politique, son assistante au couvent Léonie Levassor de Sorval est fille de général. Habituées à une vie bourgeoise, les quelques religieuses présentes au couvent s'entourent de domestiques nécessaires à la satisfaction de leurs caprices mystiques. Se faire servir par des hominines, dans la réalité, pour mieux servir une divinité irréelle.

Louis Chave est embauché au couvent en tant que jardinier et homme à tout-faire début novembre 1883, pour le maigre salaire de 60 francs par mois. Ses difficultés financières sont l'argument principal pour qu'il accepte ce travail malgré le salaire insuffisant et des patronnes extrémistes christiennes. Dans le besoin, il sollicite une augmentation début janvier 1884 mais est menacé d'être licencié pour toute réponse.

Alors voici ce qui je répondit à la Supérieure. Je suis las de la vie et las de chercher des places, si vous me renvoyer, pour moi, c'est le suicide, c'est la mort. [...] Elle me fit répondre le lendemain par sa contremaîtresse, la sous-supérieure que si je voulais rester, je pouvais rester mais qu'on me donnerait plus que 50 francs par mois. Que voulez-vous je fus forcé d'accepter, étant au mois de janvier, au cœur de l'hiver, sans le sou et sans place. D'ailleurs ce ne fut pas pour moi, car depuis quelques temps je ne tiens plus à la vie. Ce fus pour ma pauvre et vieille mère que je le fis car j'en fus réduit à boire de l'eau et à rogner sur la nourriture.[33]

L'esclavagiste en chef Marie Deluil-Martiny prétexte que le travail de Louis Chave n'est pas suffisant pour justifier la diminution de 10 francs, mais elle change d'avis et lui fait annoncer dans la matinée du 22 février 1884 par Léonie Levassor de Sorval qu'il est définitivement mis à la porte à compter du 1er mars. Finalement, dans le journée, l'esclavagiste décide de se débarrasser sur le champs du jardinier car, selon elle, elle n'a ni la nécessité, ni les moyens de s'offrir ses services. Louis Chave est sommé de quitter le couvent des fanatiques religieuses dès le lendemain matin. Sans préavis, ni possibilité de se retourner, il se retrouve sans travail. Le 23 février, il est jeté à la rue.

Malgré mon avertissement formel, que pour moi c'était la mort. Malgré ma bonne volonté que j'ai mise à faire tout mon possible pour y rester, enfin malgré tout, on me condamne à mourir. [...] Je suis forcé de par ces deux tyrans en jupon de mourir.[33]

Déchaînement

En réaction à cette mise à mort, Louis Chave est décidé à réagir rapidement. Avec en tête la comptine "On pendra le dernier curé avec les tripes du dernier patron...", il envisage de se venger de ces fanatiques et esclavagistes. Et la vengeance sera à hauteur du crime. "Œil pour œil, dent pour dent"[36] comme disent les religieuses. Dans la matinée du 24 février 1884, Louis Chave poste deux lettres. L'une est adressée à sa mère à Gignac, l'autre à lui-même à l'adresse du couvent de la Serviane. Dans la première, il explique sa situation de misère et justifie son projet de vengeance à venir. Une lettre d'adieu. La seconde lui sert de prétexte pour retourner au couvent quelques jours plus tard.

Quand on a dit à une femme : Madame, si vous me mettez à la porte, pour moi c'est le suicide, c'est la mort, et que cette femme sans entrailles, sans cœur, pourrie par tous les vices, ne tient aucun compte de cela, et avec gaîté de cœur et sans motif justifié condamne un homme à la mort, il est juste et raisonnable que cet homme, avant de mourir, ait au moins la satisfaction de la vengeance; d'ailleurs je rendrais un service à la société et j'accomplirais un grand devoir.

Notes

  1. Berre
  2. hominines
  3. Une chronologie historique de l'étang de Berre - En ligne
  4. JC
  5. Situation actuelle
  6. Registre des naissances - En ligne
  7. Adelphie
  8. D'après Mao Zedong, jeune paysan anarchiste chinois qui tourne mal et rentre dans les ordres. Devenu grand agronome, il se spécialise dans le fumier et l'exploitation du "bétail humain".
  9. pensionnat d'Aix-en-Provence
  10. Située alors 46 rue Reinard, actuelle rue Louis-Auguste Blanqui
  11. Éliane Richard, "Protection et utilisation des enfants dans les orphelinats et pénitenciers de l’abbé Fissiaux, en Provence au XIXe siècle", Enfants au travail : Attitudes des élites en Europe Occidentale et méditerranéenne aux XIXe et XXe siècles, Presses universitaires de Provence, 2002 - En ligne
  12. Dispense de Louis Chave, matricule 1211, classe 1882, Subdivision de Marseille - En ligne
  13. Abbé L. Laplace, La mère Marie de Jésus, page 358 - En ligne
  14. Le Petit Marseillais du 28 février 1884 - En ligne
  15. Marie-José Rosaz-Brulard, "Il y a quelque cent ans, la presse marseillaise", Hommes, idées, journaux, Éditions de la Sorbonne, 1988 - En ligne
  16. Liste
  17. Commune de Marseille
  18. Une minute
  19. Vêpres marseillaises et Avignon
  20. 20,0 et 20,1 Séverin Féraud, Phraseurs et prolétariat, 1884 - En ligne
  21. Du 13 et 14 août 1882 à Genève. Compte-rendu dans Le Révolté de Genève du 19 août 1882 - En ligne
  22. Le paysan révolté. Bimensuel. Format 30 x 40. Quatre pages. 10 centimes. Rédaction et administration, S. Féraud à Saint-Pierre-les-Martigues. Gérant, idem. Bureaux à Marseille, S. Couloubrier, 88 cours Gouffé. Imprimerie Spéciale, 1 rue Chevalier-Roze. Numéro 2 du 1er septembre 1882 - [En ligne]. Numéro 3 du 15 septembre 1882 - [En ligne]
  23. "Animateur du groupe anarchiste révolutionnaire "Ferré". Candidat abstentionniste aux élections législatives d’octobre 1885, il fit imprimer à cette occasion un placard adressé Au peuple travailleur et fut signataire du Manifeste Anarchiste Abstentionniste placardé à Marseille et dans la région. Il collaborait à cette époque au journal L’Anticlérical Social dont son frère André était le gérant." selon le Dictionnaire des militants anarchistes - En ligne. Il effectue 8 mois de prison fin 1885 et est libéré de la prison d'Aix en juillet 1886 selon Le Petit Provençal du 4 juillet 1886 - En ligne. Mort à Marseille fin septembre 1906.
  24. L’Étendard révolutionnaire du 15 octobre 1882 - En ligne
  25. Né le 2 octobre 1850 à Marseille, Sauveur Couloubrier est serrurier, membre à partir de 1880 de la direction du syndicat de ce métier. Co-organisateur de la manifestation en faveur de la révolutionnaire russe de 1881
  26. Joseph Doucet
  27. L’Émeute (Lyon) du 16 décembre 1883 - En ligne
  28. Du feu ! Du sang ! Du poison ! Pacte avec la mort. Anarchistes à Marseille à la fin du XIXème siècle, L'Assoiffé, 2020. René Bianco, Le Mouvement anarchiste à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône de 1880 à 1914, Éditions du CIRA, Marseille, 1978, tome 1, 453 pages; tome 2 (dictionnaire biographique), 82 pages. René Bianco, La Presse anarchiste dans les Bouches-du-Rhône, 1880-1914, Université de Provence Aix-Marseille I, 1972 , 237 pages
  29. Le Défi (Lyon). Trois numéros. 3, 10 et 17 février 1884 - En ligne
  30. Nicolas Stoïnoff, Un centenaire bulgare parle, En route, 1963 - En ligne. En français dans le texte bulgare.
  31. La Lutte (Lyon). 19 numéros. Du 1er avril au 5 août 1883 - En ligne
  32. Le Droit Social (Marseille) du 16 mai 1885 - En ligne
  33. 33,0 33,1 et 33,2 Lettre de Louis Chave du 27 février 1884 - [En ligne]. Fac-similé publié dans Le Petit Provençal du 3 mars 1884 - En ligne
  34. Couverture du tome premier de la biographie de la très sainte femme.
  35. Pour des perles de non-sens, voir le blog qui lui est consacré - En ligne
  36. Dans le roman La Bible (Exode 21, 23-25)