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Re-craché suprême et pratique, au minimum.

 

 

De toutes les choses qui me sont arrivées, il en est une, ni voulue ni maîtrisée mais fondatrice de toutes les autres : le fait d’exister, d’être là. Mes pensées puisent leur source dans un fonds culturel spécifique que je ne peux nier, issue du premier lait bu et du premier bruit entendu. Peut-on prétendre [...] inspirer et s’en [...] ?  À un certain monde j’appartiens et je renie pourtant ce monde comme identité ; c’est une ethnologie du soi, de mon propre moi, que je tente, volition et déconditionnement étant les maîtres mots de ma réflexion. Devant l’impasse nihiliste se pose non pas la question du Que faire ? mais plutôt du Comment faire ?

La quête de soi se déroule en interrogeant le monde, c’est une invitation à trouver son propre monde dans le monde même ; sans cesse le sablier du rapport à soi doit être retourné et fatalement un conflit existe entre moi et ce qui m’entoure. Tout commence lorsque je prends conscience du sentiment de ma différence et de mon unicité alors que mon environnement social est basé sur une forme de conformisme et d’universalisme. C’est bien ce que je suis qui m’intéresse et pour être je décide de me révolter ; les ennuis sont là.

À ce premier mouvement de révolte correspond la croyance en un autre possible, en un idéal ; je rejoins une pensée par défaut, censée incarner ce que je suis et pense. Par mon action propre je crois pouvoir transformer la société dans son ensemble, la révolutionner, la mettre à l’aune d’un idéal, la détruire. Mon moi s’inscrit encore dans un projet collectif, je parle pour d’autres et d’autres parlent pour moi ; par ma révolte je me fais agent historique et ne doute de rien. Mais au contact du réel, je finis par rejeter cette approche des choses qui ne m’apporte que déception et lassitude ; adoptant un point de vue pessimiste, refusant de m’inscrire dans le futur, je m’ancre dans le présent en niant le caractère de progrès et sa marche dite «inéluctable». J’adopte une vision tragique du monde, je procède d’une attitude a-historique de détachement et je ne lutte plus contre les instances incarnant l’autorité car je considère ce combat comme vain, sans espoir et ne pouvant déboucher que par la mise en place d’une nouvelle oppression. Je me tiens en marge mais fait une distinction entre la non-action et le non-agir, je ne suis pas passif. Contre le consensus, ma critique ; contre le commun, ma spécificité ; contre toute matérialité, mon esprit ; contre la certitude, mon ironie ; face à l’humanité domestiquée, ma bestialité retrouvée.

À tout instant, les colonnes sans fin des sensations m’assaillent. Il y a ce que je vois et ce que je sens, ce qui m’est visible et ce qui ne l’est pas. Parmi des milliers de choses, de faits, de gestes, des riens, certains prennent importance pour moi, se sacralisent, résistent au temps et deviennent des touts qui forment ce que je suis. J’acte la conscience de ceux-ci sans succomber au conditionnement qui fait de moi ce que je ne suis pas. Le Centre du Monde est en moi, je suis mon propre Tout fait de riens. Je suis un Tout dans un Tout plus grand que moi et qui me dépasse, en quête de mon moi profond. Comme un paysage dont la vision fluctue au gré des saisons, mon êtr’xistant oscille suivant le rythme de ses humeurs. Il se crée une combinaison subtile entre un réel visible (vérifiable, palpable, matériel, temporel) et quelque chose de plus instable (variable, immatériel, intemporel) : je suis toujours là physiquement mais jamais vraiment à l’identique. Unicité et harmonie se dégagent, formant un ensemble cohérent, intègre mais fragile. C’est cet ensemble qui sert de médiateur entre moi et mon environnement, [...] mon rapport entre sujet et objet. Dans quel sens s’opère cette médiation : de moi vers lui, de lui vers moi ou l’un vers l’autre ? Me rendant compte de ma propre petitesse face à cette vérité nouvelle, je m’en approche par petites touches, en la morcelant pour la mettre à mon niveau d’embrassement, d’analyse et de compréhension.

Vérité, sens et but se combinent en un Tout organique : style (manière de représenter l’idée saisie), caractère (genre de l’idée exprimée) et traitement (pratique proprement dite). Je suis [...] Tout.

L’expression de ma volonté passe par cette volonté de vrai, proche de ma révolte primitive et utilisée comme auxiliaire pour démasquer les fausses spéculations. Ce vrai est ce qui est en moi, ce qui m’est instinctif, c’est une vérité mais non pas la vérité. Née d’une peur face à l’incertitude, dont il faut parfois se contenter, c’est cette même recherche de vrai qu’il me faudra abandonner en cultivant une forme de scepticisme non pas théorique mais pratique (curiosité) et en ne posant que les questions qui doivent l’être (essentialité). Il faut souvent passer par son contraire pour éprouver [...] Je déconstruis l’acte philosophique par un processus de doute systématique, de négation absolue et d’inversion généralisée : ce qui est vrai ne l’est peut-être pas vraiment pour moi et inversement. Je [...] pas [...] sans [...] la véritable essence des choses.

Révolte et vérité, c’est l’espérance qu’il faut tuer ; s’il n’y a rien à espérer toutes les idéologies s’effondrent et tous les rapports sociaux se simplifient. Tuer Dieu n’est pas suffisant, l’acceptation de sa mort non plus, c’est son évacuation du domaine de la pensée qui importe. Et par «Dieu», j’entends tous les «-ismes» de la Création. Ces «-ismes» ne sont que des instruments de manipulation et d’aliénation ; ils ont été, hochets factices de l’imagination humaine, ils ne doivent plus être, ils ne sont plus. Pourquoi vouloir à tout prix donner forme et sens à l’ensemble de ce qui nous entoure ? Pourquoi vouloir expliquer, démontrer et justifier en permanence ? Ressentir suffit, pourquoi interpréter ? Toutes nos questions n’étant que construction et artificialité, nos réponses ne peuvent être que du même acabit alors autant restreindre au maximum nos champs d’investigation et gagner en indépendance, en clarté et en cohérence. Ultime révolte donc, et ultime vérité ; voire ultime liberté.

Mon point de départ est sensible. D’une simple chose je tire une observation d’où découle un enseignement mais non pas une doctrine. Au-delà d’une apparence modeste réside une signification propre pour qui prend le temps de l’étudier. Mon champ d’expression est partout présent ; mon êtr’xistant fait caisse de résonance des scènes qui l’entourent. La nature, les éléments sont les matières même qui fournissent la pâte dont je me nourris. Je la malaxe jusqu’à ce qu’elle prenne forme et signifiance. J’aiguise mes sens, j’entraîne mon âme à pétrir cette pâte ; alors, au plus profond de moi, naît le levain nécessaire. Attention, concentration, écoute, toute une alchimie fébrile et fragile donne la force nécessaire à cela. Être spectateur de soi-même au sein du monde ; action et observation simultanément. Peu importe la forme prise, le résultat doit simplement correspondre à l’émotion seule du moment ; ce n’est pas d’abstraction et de comportement dont je parle, mais plutôt d’écho et d’authenticité. Un nuage reste un nuage mais l’on peut y voir une forme particulière, je suis l’émotion de ce nuage. Ce n’est pas à un utopique «état de nature» auquel j’aspire mais à un réel «esprit de nature», dépassant la pure spéculation intellectuelle d’interprétation du monde pour enfin vivre pleinement ; devenir et être car je suis ce(-lui) que je suis sans peut-être ne jamais le savoir. Artiste du moi je crée l’esthétisme du soi.

La culture n’est souvent qu’une instruction en vue d’un endoctrinement et d’un élevage reproductif, mais se cultiver est différent d’un dressage culturel. Comme pour le corps, la culture de l’esprit demande un effort. Lors de ce déblaiement, je dégage ce qui est immuable, intemporel, mon moi sauvage, ma primitivité et mon instinctivité ; en fait ma primauté. Je ne confonds plus mon but et ma fin. Féral je deviens, affranchi et libre, absolu, autonome. Nomade du Moi, mon territoire est sans frontières, j’existe au-delà de ce que je suis comme un «homme sans qualités». Je ne sais [...] qui je suis, comment [...], qui que tu sois, me définir [...] me nommer ? N’être rien ou vouloir être, mon choix est fait : Je suis.

Deux êtres cohabitent, et parfois combattent, dans ma petite enveloppe humaine : celui qui vit pour moi et celui qui vit pour l’autre. Le premier par sa singularité me donne conscience d’un monde fini (Rien) et le deuxième par son ouverture à la pluralité, à la Communauté, me donne conscience d’un monde infini (Tout). Cette double conscience instaure un lien que l’on peut qualifier de social, établissant une présence à autrui se développant naturellement non par osmose mais par contact, sans pré-établi ni prérequis. Cette dualité intime que je décrypte, transforme le Chaos en Cosmos et fonde mon espace vital : ma limite de tolérance à l’autre, aux autres. Partant de moi, je fais le chemin vers l’autre qui lui-même partant de lui marche vers moi.

La Communauté des Humains ne peut passer que par la négation de toute identité autre qu’intrinsèque, intime, propre à chacun. Je, Moi, Soi ! Vivre le Rien pour atteindre le Tout, sans avant ni après. Pour soi, pour chacun, pour tous. Tous Égaux mais tous Différents / Autres.

L’expérience mène à la connaissance, la pratique de soi mène à la conscience de soi. Je suis passé de l’état de plus grande naïveté vers l’état de plus grande conscience en perdant toute illusion. Conscient, donc désabusé face à la masse qui s’invente des illusions de seconde main (politique), je me suffis à moi-même ; à la Loi de la Cité j’oppose celle de ma nature, à moi-même j’oppose ma propre mue, à tout répond mon rire.

Le Rien, le Tout, et vice versa.